2023 - Bleau : l'escalade et l'écologie
Une convention méconnue... Restrictions et interdictions
Nous avons beaucoup entendu parlé des interdictions "parapluies" suite à l'affaire Vingrau et à la série de ruptures de conventions que cela a déclenché pour se prémunir d'une éventuelle poursuite et à devoir réparer un préjudice. Depuis, la loi sur la responsabilité sans faute des propriétaires et gestionnaires des espaces naturels a beaucoup évoluée et atténuée leurs responsabilités : « Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant sur le fondement de l’article 1242 du code civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible, inhérent à la pratique sportive considérée ». En revanche, il y a des interdictions d'une autre nature qui ne trouveront pas de solution. A Bleau par exemple...
Comme vous le savez, depuis leur invention, la pratique de l’escalade de la majorité des grimpeurs s’est organisée principalement dans les sites où il y a des circuits d’escalade ; circuits d'escalade de tout niveau qui ont été implantés dans de nombreuses chaos de blocs en forêt domaniale que l’ONF a concédé officiellement à la fin des années soixante-dix. A cette occasion une liste officielle des sites d’escalade liés à la présence de ces fameux circuits a été établie. Ce qui implique que les sites comme par exemple la Roche aux Oiseaux, les Rochers du Cassepot ou Rocher Bouligny où il n’y a pas de pistes d’escalade ne sont pas des sites d’escalade officiels.
- Qu'est que cela implique ? Que la pratique de l’escalade hors les sites officiels n'est en principe "recommandée" et qu'au pire elle peut être perçue comme une infraction à la réglementation qui régit notre présence en forêt, et être poursuivie pour faute.
- Est-ce une pure extrapolation où il y a réellement matière à inquiétudes ? Cela est peu connue mais il existe bien une réglementation officielle qui limite notre activité qui aurait dû être largement diffusée par le Cosiroc puisque cette organisation en tant que représentant privilégié de la communauté des grimpeurs auprès de l’ONF, a cosigné une convention de coopération en lien avec la pratique de l’escalade et l’aménagement des sites d’escalade en forêt domaniale de Fontainebleau (1). Je ne sais pas s’il y en a eu d’autre avant celle-ci, mais ce que je sais c'est cette convention s'avère être de première importance car elle définie clairement l’autorité de l’ONF, le rôle accordé au Cosiroc dans cette coopération, et précise les conditions quant à la pratique de notre sport en forêt domaniale. Nous le répétons, comme cette convention nous concernait tous, elle aurait dû être largement diffusée par tous les moyens possibles au lieu de rester confidentielle (2).
En effet, voici ce qui nous aurions pu lire et apprendre : déjà que la convention signée prévoyait la création d’une commission d’escalade bellifontaine (CEB), et que celle-ci serait co-présidée par un représentant du Cosiroc et un représentant de l’ONF, et qu'elle serait régie par une charte, malheureusement introuvable ; et qu'ensuite, on aurait su que : le périmètre géographique de la convention couvre les forêts domaniales de Fontainebleau, des Trois-Pignons et de la Commanderie. La localisation des sites d’escalade concernés par cette convention figure à l’annexe 1, qui recense également les circuits d’escalade qui s’y trouvent… Et que les sites d’escalade comportant ces circuits validés sont référencés comme « sites d’escalade validés » pour l’accueil du public. Tout passage d’escalade situé en dehors de ces sites validés est considéré « hors-piste » par l’ONF, qui ne souhaite pas d’invitation générale du public à s’y rendre. Certaines zones peuvent par ailleurs faire l’objet d’interdictions (Réserves Biologiques Intégrales, zones soumises à un arrêté préfectoral ou municipal de fermeture lié à la sécurité, zones en travaux).
Il apparaît à la lecture de cette convention que la pratique de l’escalade est légale dans les sites validés. Et que l’escalade hors piste située hors des sites validés semble être tolérée (ce qui n’a pas été clairement dit en réalité), mais en revanche, elle ne doit être ni encouragée, ni incitée… C’est-à-dire : Que l’édition, sur quelque support que ce soit, de répertoires de passages d’escalade est considérée par l’ONF comme une incitation au public à découvrir et à grimper des voies précises, et donc assimilé par celui-ci à une forme de balisage.
Considérant cette dernière phrase, j'ai personnellement un doute quant à cet a priori que l’escalade serait tolérée hors des sites d’escalade validés et listés en annexe 1 (annexe introuvable) puisque les informations sur les escalades sont assimilées à une forme de balisage et qu’ils sont interdits hors les sites validés. En effet, implicitement il est dit que : balisage interdit égale escalade interdite. Le doute est autant plus justifié que cet avertissement semble impliquer une menace non précisée ici : celle de devoir y répondre devant un tribunal. Menace réelle puisque nous sommes un certain nombre à avoir reçu par lettre recommandée les avertissant qu’en tant qu’éditeurs qui diffusent des informations sur les sites d’escalade, nous pourrions être attaquables sur le plan civil et pénal, conformément à l’article 1240 du code civil, en cas d’accident ou de dommages résultant de la fréquentation de zones protégées. Votre responsabilité pour faute pourrait être engagée.
Les zones protégées pour lesquelles les éditeurs auraient à répondre des renseignements donnés étant les réserves biologiques intégrales (RBI). En même temps, cette lettre est générique et avec le verbe « pourrait », ce qui pourrait faire penser que l’ONF compte d’abord sur notre compréhension, et que notre conscience saura nous inciter à « censurer » toutes les informations sur les escalades situées dans les réserves biologiques intégrales. Et aussi, semble-t-il d’après la convention, se dispenser de donner des informations pratiques sur l’ensemble des sites fréquentés mais non validés à la pratique de l’escalade : ce qui nous assure que l’on peut être juridiquement ennuyé (3) .
Quoi qu’il en soit, c’est l’option que j’ai prise, il y a déjà plusieurs années : de ne plus parler des escalades situées hors des sites « officiels ». Comme quoi, il n’était pas besoin d’une lettre recommandée avec accusé de réception pour m’en convaincre…
A présent, que dit l’article 1240 du code civil exactement : Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. Qui est au juste celui qui doit réparer en cas de dommage. Car il me semble que la « faute », une fois établi qu’elle est liée au dommage, serait largement partagée. Entre ceux qui informeraient en continu et en mettant quotidiennement à jour les informations visibles dans le monde entier, ceux qui publieraient des photos et donneraient à voir des films de voies situées dans les lieux proscrits à l’escalade, et aussi ceux qui comme moi ont donné autrefois des informations sur les escalades dans des secteurs, aujourd’hui identifiés réserves biologiques, alors qu’à l’époque ils ne l’étaient pas.
Si donner des renseignements sur l’existence de voies d’escalade dans un lieu formellement interdit à l’escalade, est vu comme une incitation à ne pas respecter la règlement ou l’avis qui précise la dite interdiction, j’en connais qui vont en perdre le sommeil. En support, existe-t-il une loi qui limite ou qui régule la liberté d’informer. Je ne pense pas. Comme, il me semble qu’il serait injuste de devoir réparation pour des dégâts fait par un inconnu irrespectueux de la réglementation du fait que j’ai informé de l’existence de voies d’escalade dans un lieu où escalade est interdite ou devenue interdite. Il me semble qu’en premier lieu, il faut demander réparation à ceux qui sont responsables des dégâts, surtout quand on en toutes occasions demander aux grimpeurs de respecter la réglementation. A propos, sachez qu’il peut en coûter pour non respect de la réglementation dans une réserve naturelle une amende pouvant aller jusqu’à 1.500 euros et 3.000 euros si récidive.
Du point de vue des grimpeurs, il y a deux fois plus de sites d’escalade « non officiels » que de sites officiels. Il va falloir demander à l’ONF si l’escalade est tolérée dans les premiers et dans quelles conditions.
Que la pratique de l’escalade soit formellement interdite dans les réserves biologiques intégrales, et qu’à ce titre elle ne doit pas être encouragée et incitée, cela va de soi. Et il me semble même que tous les éditeurs l’ont précisé dans leurs ouvrages ou leurs sites internet. Que l’ONF veuille protéger une partie de la forêt de l’activité des hommes, cela est logique quand on sait qu’en application du Code Forestier, l’ONF gère les forêts sur le domaine privé de l’État, tout en cherchant à satisfaire les demandes sociales. Ceci passe par la promotion d’activité d’accueil du public, de conservation des milieux, de protection de la biodiversité et de recherche scientifique. Il s’agit donc pour l’ONF de mettre en place une politique forestière multifonctionnelle, conciliant l’ensemble des usages et assurant qu’aucune activité n’entraîne l’exclusion des autres usagers de la forêt… Ensemble de tâches très difficiles, et qui appariaient parfois antagonistes quand on connaît ses missions : d’assurer la conservation et la mise en valeur des forêts, afin de satisfaire l'approvisionnement des entreprises de la filière bois, de préserver les équilibres biologiques indispensables, et de faciliter l'accueil du public dans le respect des peuplements forestiers et en tenant compte des droits des propriétaires.
Je vois là en fait deux conceptions de l’écologie : celle du chasseur qui protège ce qu’il va tuer plus tard, et celle des naturalistes qui veulent préserver la nature en y éloignant les hommes. Qu’importe, en vue de sa mission de protéger les biens forestiers ainsi que les espèces biologiques, comme dit dans la convention en tant que gestionnaire, l’ONF se réserve la possibilité d’interdire à titre temporaire des sites d’escalade et leur accès pour des impératifs de sécurisation devant un péril immédiat, pour des raisons de protection de la biodiversité ou pour des besoins sylvicoles. Si l’on contracte cette phrase sans trahir le sens, l’on comprend que l’ONF se réserve la possibilité d’interdire… des sites d’escalade et leur accès… pour des raisons de protection de la biodiversité…
Concrètement, ces derniers mois, trois secteurs où il existe des circuits d’escalade, sont voués à être effacés, si la décision est prise d’en faire une réserve biologique ou une zone de quiétude pour la faune et la flore. En fait c’est déjà le cas pour la partie nord du Restant du Long Rocher (Le circuit orange sera effacé remplacé par un autre dans le secteur du circuit rouge). Pareil pour les parcelles 111 et 112 du Désert d’Âprement entre la Mare aux Biches et le chemin de la Chouette sur lesquelles il y a deux circuits qui ont été récemment repris pourtant. (En réalité, L’ONF c’est montré un peu vague sur les limites précises de cette zone de quiétude). Et également pour la parcelle Est de Cornebiche-Rocher de Milly où sont implantés depuis plus de quarante ans un circuit Bleu et un circuit Orange qui devront être effacés si la préemption est confirmée. Comment être contre les mesures de protection ? Nous faisons de simples excursions dans la nature alors que les animaux y demeurent en permanence parce qu'ils sont chez-eux et qu'ils n'ont nul autres endroits où aller que dans les espaces semi-sauvages que l'homme à consentit en partie à leur laisser. Il faut effectivement leur abandonner un peu d'espace vital, trouvez des compromis intelligents entre le gestionnaire et les grimpeurs pour laisser aux animaux des zones de quiétude et des périodes de paix.
En même temps, on peut être inquiets de cette tendance, un peu partout en France, d'interdire sans compromission la pratique de l’escalade pour des raisons de protection, qui apparaissent parfois être un prétexte efficace pour être tranquille « chez soi » comme au Rocher aux Dames qui ont pourtant pas valeur de propriétés résidentielles (4). Pour les Forêts Domaniales, est-ce que les interdictions vont s’arrêter là ? L’avenir nous le dira ! Comme, je l’ai dit dans la longue étude que j’ai faite sur l’affaire Étréchy : Bientôt des interdictions d’une nature bien réelle (5).
Dans ce type d'affaires, il convient de ne pas confondre, le droit naturel de circuler et le droit de grimper. Comme le stipule le droit français en matière de la liberté d’aller et venir sur le sol français, l’ouverture au public des bois et des forêts relevant du régime forestier doit être recherchée la plus largement possible. Mais ça ne veut pas dire que les sports de nature jouissent du même droit que du promeneur, droit qui peut être également régulé, puisqu’il ne saurait être partout chez lui. C’est ainsi aujourd’hui, les terrains de jeux sont définis par des conventions et des autorisations, avec ces au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Et il faudra s’y faire. Pour les aventuriers, il y a encore des pays où vous pouvez grimper à l’ancienne partout et comme bon vous semble. (A noter que ce droit de circuler n’est pas remis en cause en période de chasse ; après il ne s’agit pas de prendre son droit de passage à la légère car si ce n’est pas vous qui représente un danger, néanmoins vous pouvez être en danger du fait qu’il y a des gens qui ont des armes et qu’ils peuvent s’en servir dans l’ignorance de votre présence.)
A suivre...
Notes :
1) En fait, ce n'est pas tout à fait exactement, bien que le Cosiroc fait comme si. En effet, le Cosiroc est une association d'associations, en particulier le CAF, La FSGT, le GUMS, l'AFF et TCF et limité à celle-ci, sauf si mal informé, ce qui signifie, qu'elle représente la communauté des grimpeurs de fait mais pas de droit.
2) Pour ma part, j'ai pu en prendre connaissance que trois ans après qu’elle fut cosignée et après qu'elle fut dénoncée par l'ONF pour non respect des accords…).
3) Depuis peu des pancartes sont fixées un peu partout en forêt domaniale sur lesquelles on peut lire plusieurs recommandations de bonne pratique de l'escalade donc celle de ne grimper uniquement sur les sites aménagés, sous entendu pourvu de circuits d'escalade.
4) Pour les propriétés privées, L’article 226-4 du code pénal est encore plus sévère puisqu’il peut vous en coûter plus de 10.000 euros, voire beaucoup plus.
5) La liste des sites où l’escalade est officiellement admise existe depuis longtemps. Aussi, il ne faut pas trop regarder de travers le terme sites officiels d’escalade qui n’induit pas forcement d’interdiction de grimper hors ces sites, sauf quand clairement formulée comme pour les réserves biologiques intégrales, mais plutôt se méfier du terme : sites autorisés à la pratique d’escalade, qui induit une interdiction hors les limites désignées.