2000 - Surprise de Taille

Comment convaincre que c'est une erreur de tailler ou briser les prises ?

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Je m'en souviens encore...

par J.J. Naels

Pour fêter la fin du millénaire, le plus terrible depuis le début de l'humanité, pour la seconde fois, une prise de l’Alchimiste à Apremont a été détruite. Le hasard voulu que je sois sur les lieux quand l'auteur de la première réussite, accompagné de quelques amis, découvre le saccage, sans doute volontaire puisque l'environnement de la prise disparue est clairement marquée de coups de marteau. Nous pensons évidemment à un acte de rancœur. Penauds comme des enfants grondés pour avoir fait une bêtise, nos yeux tournés vers le monolithe comme si nous étions au coin, une sorte d’embarras accable le petit groupe, car cet acte nous atteignant tous, nous ressentions communément combien il était arbitraire, stupide comme une vengeance contre les roues d'une voiture. Oui ! A quel mobile trompeur l'homme au marteau vengeur a-t-il obéi pour l’accomplir ? Nous nous posons la question alors que nous sommes incapables de trouver la moindre justification pour faire semblant de reconnaître un peu le sens à cet acte sournois. Il n'y a pas de logique sensé à la déraison et qu'importait le travail de notre propre raison, seule la perte de maîtrise de soi, l’immaturité, en un mot la haine, ne pouvaient conduire un type à accomplir un tel apte déraisonnable. Nous avons vu pire depuis.

Si nous étions dégoutté, sur le moment notre incompréhension a été si forte, qu’aucune colère, sans doute latente, ne put s’exprimer. Oui, nous voulions d’abord comprendre, justifier par la raison. Et c’est d'abord de ça que nous avons parler. Qui et Pourquoi ? Oui, pourquoi, car il fallait bien une raison à la rancœur du type ?

Un peu plus tard, nous sommes demandé qu'elles ont été après coup les transactions de son l’esprit. A t-il eu en son fort intérieur des regrets pour son acte. Ou s'est-il accommodé obstinément avec sa conscience pour échapper aux regrets. Nous ne le serons jamais. Un jour, la honte l'atteindra-t-il peut être. Qui dans la communauté des grimpeurs peut-il être coupable de cette acte déconcertant que nul ne peut comprendre ? Bien sûr, nous avons cherché qui aurait bien pu faire ça ? Il y a bien eu présomption de culpabilité, des intimes convictions... Mais le coupable est à l'abri car demeurera éternellement le doute, donc en fin de compte la présomption d'innocence.

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L'histoire se répète et ses maux aussi. Au cours de l'année 2006, nous découvrons de plus en plus de prises taillées, piquetées et améliorées. Au Cul du Chien, au Rocher Canon, au Rocher Guichot, Pignon 95,2, aux Gorges de Franchard et d'Apremont, pour ne citer qu'eux. Ce phénomène s'accentue en fin d'année et touche également les voies de haut niveau. En réaction, je tente de lancer une campagne de protestation via le forum de Bleau-Info, et à ma grande surprise, il y a de nombreuses réactions. Aussitôt, quelqu'un que je n'ai pu identifier, lance l'idée d'un auto collant. Mais aucune proposition concrète ne suit cette idée. Il faut un logiciel spécial pour le créer et j'ai cet outil. Et en une heure je prépare une image assez parlante côté marteau burin pour frapper les esprits . Elle est adoptée, puis quelqu'un trouve un imprimeur spécialisé. Il se trouve en Allemagne. Cela à un coût, une demande de fond est demandé aux Bleausards et en peu de temps des donateurs anonymes permettent de réunir la somme, et trois jours plus tard les étiquettes arrivent chez moi. Ensuite, grâce à un système de chaînes, les autocollants arrivent dans les mains de ceux qui les veulent. Au même moment, un PDF de image est mit en ligne sur les sites Bleau-info et Grimporama. Il sera repris et relayé, si bien qu'on le rencontre encore. Cependant, plusieurs surprises m'attendent, le Cosiroc est méfiant et son président a préféré ne pas engager son organisation dans cette campagne, à cause que le logo ressemble trop au panneau STOP, et qui ne veut pas prendre le risque d'une procédure en justice (tout est bon pour se défiler. Faut dire qu'on est en janvier... Certains membres ont même carrément ôté les étiquettes des panneaux d'affichage au prétexte que ça ne pouvait qu'énerver davantage les tailleurs de prises (1). Mais mon plus grand étonnement est venu au fait que des personnalités forts en vu selon eux, ont souhaités rester neutres : question d'éthique parait-il ! Sans eux, alors !

La presse a eu vent de cette campagne Halte au Taillage et Jean Pierre Roudneff, le webmaster de Bleau Info, qui était le seul à savoir que j'en étais à l'origine du fait que j'ai utilisé un surnom, m'invita à rencontrer le journaliste qu'il l'avait contacté pour en savoir plus. Et nous nous sommes retrouvé avec Jean Claude Valuet qui avait suivi les progrès de l'affaire. De cette rencontre, il y a eu cliché sur lequel tous les trois nous tendions vers le photographe notre œuvre contestataire. Je me souviens alors, que j'ai eu du mal à gardé mon sérieux au fait que je savais que certains lecteurs interpréteraient halte aux taillages avec un esprit coquin, le sens argotique ne m'ayant pas échappé. Un peu de sérieux messieurs !

JJ Naels


  • 1) « Le problème ne concerne pas les rochers de Beauvais, il n'y a aucune raison pour que tu viennes foutes ton truc ici » : sont les termes exacts que l'administrateur du coin m'a servi pour justifier leur décollage des panneaux d'affichage...

Lettre ouverte aux tailleurs de prises

par S. Frigault

J’avais entendu parler de voies « retravaillées » comme au Rocher Guichot, au Rocher Canon, au Cul du Chien, même certains passages de niveau jaune. Naïf, je pensais que « ces désolants artifices » étaient l’œuvre de gens de peu d’expérience qui n’avaient pas compris ce qu’était le jeu et qui concevaient mal que l’on puisse s’entraîner et se hisser au niveau du passage, plutôt que de le ramener à soi. Cela me rassurait de croire que cette « délinquance » n’atteindrait pas le haut niveau parce que, l’expérience du passé, la réflexion, suite aux nombreux dérapages des années 60 à 80, nous avaient apporté une maturité suffisante pour que ne se reproduisent plus de tels actes. Mais apparemment le temps passe et la stupidité humaine demeure ! Et oui : - Quelle surprise, quand j’ai découvert les prises massacrées de « L’alchimiste ». - Quel coup, quand j’ai appris que « L’insoutenable légèreté de l’être », », bloc que j'ai eu la chance d'ouvrir en 1998 et pour lequel j'avais proposé la cotation 8b+ avait été « bricolé » au mépris de l’éthique, et qu’il est maintenant passé à 8a+.

Quelle « insoutenable » connerie que de tailler ! Il existe tant de blocs de niveaux et de styles différents, ouverts ou qui restent à ouvrir, que je me suis toujours demandé : quelle « jouissance » on pouvait éprouver à tailler un passage, a fortiori, s’il a déjà été réalisé ?

Alors que je suis d’une nature plutôt sereine, la colère me conduirait à user de tournures ordurières à l’encontre des « abrutis tailleurs », mais je préfère me refréner et poser quelques interrogations que j’estime pertinentes.

Qu’est ce qui les pousse à s’approprier un passage déjà réalisé pour se le rendre accessible, oubliant que les blocs ne sont pas leur propriété, mais qu’ils sont du domaine public ?

Quelle fierté et quelle vision de soi, a-t-on lorsqu'on arrive au sommet d'une voie que l'on a détruite pour se la rendre accessible ? – Pratiquant ainsi : - quelle joie peut-on avoir à médiatiser sa réalisation ? Il faut être plutôt « faible d’esprit » pour ne pas voir qu’ils ne leurrent qu’eux-mêmes, puisque les traces de leur imposture demeurent indélébiles.

Apparemment, à cause de leurs qualités, il y a des voies qui deviennent mythiques. Et pour certains, atteindre le niveau de celles-ci ne relève plus d’une raison sportive, c’est à dire le dépassement de soi, mais de la seule réalisation de la voie, quitte à mettre en cause la pureté du jeu, pour ce qu’elle représente de superbe. « L’insoutenable légèreté de l’être » était peut être l’une d’elles, mais à mon sens, être grimpeur c'est avant tout savoir se « modeler » aux exigences du rocher et non l'inverse. Mais c'est aussi, savoir être humble vis à vis de ses capacités, et accepter qu’une voie demeure inaccessible malgré ses tentatives infructueuses. Comment convaincre ceux là, qu’il faut impérativement respecter le jeu et le matériau sur lequel il s’exerce, pour qu’enfin l’escalade devienne adulte. La question de la taille de prises, ce n’est pas un sujet de polémique, une perception intellectuelle d’un groupe de grimpeurs contre les habitudes d’un autre ; c’est le vrai sens de l’escalade sportive qui est mis à mal.

Seb Frigault.