1947 - Escalades aux Trois pignons

Maurice Martin

La section du Club Alpin Français de Paris a eu l'heureuse idée de mettre en ligne l'ensemble de leurs revues Paris Chamonix. Et en les "feuilletant" nous avons découvert entre autres perles, un remarquable article sur les escalades connues en 1947 dans les Trois Pignons écrit par Maurice Martin, l'inventeur du topo-bleau en quelque sorte. Et comme cet article nous semble être un témoignage vivant des réalités d'une époque où l'escalade et l'ambiance sont loin de ressembler à celles d'aujourd'hui, nous avons pris la liberté de le reproduire ici pour tout ceux qui s’intéressent à l'histoire du Bleau des grimpeurs. Nous en profitons au passage, pour remercier le ou les responsables qui ont permis l'accès à ces passionnants documents...

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IL ÉTAIT UNE FOIS LES TROIS PIGNONS...

« Encore les Trois Pignons ! », allez-vous vous exclamer, car combien d'itinéraires, combien de descriptions de ce coin de Bleau avez-vous pu lire. Rassurez-vous, et si je vais vous convier à partir ensemble vers la plus belle et la plus curieuse région du massif, c'est pour nous arrêter longuement sur un point méconnu et délaissé : les rochers favorables à l'escalade. « Eh quoi ! », s'écrieront certains : « Faire de la publicité, attirer dans ce dernier refuge de tranquillité les foules de grimpeurs ! » Qu'ils se rassurent. Premièrement, les Trois Pignons, ça restera toujours à quelques 2 ou 3 heures de marche de la gare... Deuxièmement, les Trois Pignons n'ont, du point de vue escalade, qu'une valeur secondaire – le massif peut prendre place à côté de ceux du Sanglier, du Pendu, par exemple, mais n'a aucune chance de concurrencer les grands centres. - « Eh quoi ! », s'écrieront d'autres : « Codifier, embrigader, dresser des plans, quel sacrilège ! ». Un tel raisonnement amènerait à condamner l'œuvre d'un Dennecourt... Et vouloir conserver pour un petit groupe d'initiés le charme particulier de tel ou tel coin ; prétention qui date du franc-or et du 3 %. Certes, si pour vous Malesherbes est le Paradis parce qu'il n'y a qu'une demi-heure à marcher ; si vous trouvez que la petite heure de marche nécessaire pour aller de Bois-le-Roi au Cuvier est déjà bien longue, certes si pour vous, en dehors du VI, rien ne vous intéresse, certes si pour vous le paysage importe peu, « un caillou est toujours un caillou », tournez la page en pensant : « Encore du papier pour rien ». Mais si pour vous la solitude a encore un charme, si pour vous le plaisir d'une escalade ne se mesure uniquement pas en degrés ou sur le fait que les petits copains ont échoué là où vous avez réussi, si pour vous « l'appel de Bleau » est un baume à « l'appel de la Montagne ». Voulez-vous que nous y cédions ensemble ?

De Bleau à Chanfroy.

Partons un samedi, notre seule journée de dimanche n'y suffirait pas. Le duvet au fond du sac, la popotte, un petit bout de corde d'une dizaine de mètres (Quelques voies sont exposées et comportent une mauvaise chute), nos chaussons d'escalade, et nous voilà, en ce début d'après-midi, descendant du fringant tramway qui, de la gare de Fontainebleau, nous a amenés sur la place du Château. Déplions notre carte — la plus pratique pour les grands parcours dans la forêt est incontestablement la carte de la forêt de Fontainebleau, dressée avec le concours de la « Commission d'Escalade du C, A. F », et choisissons notre chemin; tous les chemins mènent à Rome, et nous avons le choix. Pour nous, aujourd'hui, prenons au plus court : carrefour de l'Obélisque, la « bitumeuse » d'Ury jusqu'à l'aqueduc, la petite allée bien ratissée par les cantonniers de la Ville de Paris qui longe cet aqueduc et, au bout de deux petites heures de marche, vous déboucherez dans la plaine de Chanfroy. C'est un paysage grandiose et un des sites les plus extraordinaires du massif, limité au Sud par la crête du Rocher de la Reine et au Nord par la crête du Rocher de Corne-Biche. La crête de Corne-Biche c'est, pour quelques Bleausards, ce matin de février 1944 où, parmi les éclatements et les grondements de la D.C.A., tout haletants de leur course pour porter secours et aide à quelque parachute qui descendait en se dodelinant sur la plaine de Chanfroy, semé par la forteresse volante qui venait d'éclater en plein vol, ils trouvaient dans un petit vallon de la crête de Corne-Biche, à quelques mètres du bornage, une partie du fuselage arrière venu s'écraser avec ses occupants qui terminaient là leur dernier voyage... Maintenant, seuls dans l'herbe et la fougère, quelques vieilles douilles de balles, quelques petits morceaux d'aluminium témoignent du drame…

Ces vieux topos élaborés par Maurice Martin pour la revue du CAF Paris Chamonix nous rappellent qu'il a eu un temps où l'on grimpait dans les Trois Pignons alors qu'il n'y avait aucun circuit de tracé. On y venait quelques fois pour faire quelques voies éparses dont certaines étaient repérées à l'aide de signes géométriques. Il faut se souvenir qu'alors peu de grimpeurs possédait un véhicule et qu'ils y rendaient en empruntant les transports en communs jusqu'à Milly, le reste du chemin se faisant à pied...

Montons sur la crête de Corne-Biche où s'élève la petite chapelle de Notre-Dame-de-Grâce — ou Tour de la Vierge — élevée en 1862 par les fidèles d'Arbonne ; des mains intolérantes y ont cassé les carreaux, des mains pieuses, bien souvent, y déposent quelque bouquet de bruyère cueilli alentour. Au Nord de cette Tour, à mi-pente, on peut encore voir, parmi les rochers, les moteurs et le train d'atterrissage calcinés de l'avion dont j'ai parlé plus haut. Au Sud de cette Tour, dans la plaine de Chanfroy, près d'un tas de pavés de grès, deux petits drapeaux s'effilochant au vent, une pancarte, nous rappellent que dans cette petite carrière de sable, « 35 patriotes sont morts pour que vive la France », tués en 1944 par les Allemands.

Après avoir consciencieusement « popoffé » le Rocher Fin, descendons schuss au Sud, où sur un petit mamelon se trouvent les rochers de la Mée (sur la carte à 1 cm. N.-O. du mot Mée de Vallée de la Mée). Le mamelon est peu marqué, mais un gros rocher allongé très caractéristique nous servira de repère. Là nous irons plus vite qu'au Rocher Fin et les rochers de la Mée ont été notés en vue d'être aussi complets que possible. Si nous étions en retard sur l'horaire, du Rocher Fin, nous pourrions gagner à l'Ouest directement 91-1, la Mée ne présentant qu'un intérêt secondaire. Donc, nous en avons terminé avec la Mée et remontons au , N.-0. Traversant la partie sud des Sables du Cul de Chien, surmontée de curieux rochers où l'on pourrait trouver des petites voies variées, notamment sur la butte située plein Sud de la côte 70° 6, où l'on remarquera une curieuse Roche Percée et, à 100 mètres au N.-N.-O. de celle-ci, un rocher isolé bien difficile sur toutes ses faces : le Petit Bilboquet. Un peu plus à l'Ouest, et nous atteignons la côte 91-1 et son chaos de rochers, aux voies intéressantes ou souvent assez difficiles.

Il n'est pas facile de reconnaître tous les blocs représentés, et identifier les voies anciennes dont certaines appartiennent, sous d'autres noms, à des circuits aujourd'hui.

Là encore, je laisse « parler » le plan, espérant qu'il sera suffisant pour nous permettre de retrouver les voies dans le désordre chaotique de ces rochers. Après avoir une fois de plus rechaussé les ( godillots »), descendons au Nord pour atteindre le chemin qui, prenant une direction N.-E.-E. Et passant au pied des buttes du Rocher de Jean des Vignes, atteint le Pignon 95-2, que l'on gravira. Sur son versant N.-N.-O., c'est-à-dire juste en face l'énorme monument qui s'élève de l'autre côté du chemin, on pourra trouver quelques voies d'escalades, notamment sur un gros rocher offrant deux ou trois voies sur sa face S.-S.-E. Le monument a été édifié en mémoire du premier parachutage effectué dans la région par le groupement F.F.I. Capitan. Quittant 95-2, vous descendrez au Nord rejoindre le chemin que vous suivrez vers l'Ouest après avoir doublé quelques maisons de lotissement, vous appuierez au N.-N.-O, « schuss » pour passer au pied sud de la Butte de Châteauveau (123,7), très caractéristique avec ses deux sapins à son sommet. A l'O.-N.-O. de cette butte, sur le pignon situé juste en bordure de la carte, on remarquera un gros rocher, isolé, bien visible de loin. C'est la dalle de la Croix Saint-Jérôme ; il mérite que l'on s'y arrête car il comporte plusieurs voies intéressantes : sur la face S ; l'arête S.-O., la médiane, l'arête S.- E. ; la face ouest : le reta de l'arête Nord et sur la face est : la voie normale. Ici s'arrête notre cicérone et nous sommes obligés de recourir à notre vieille carte d'état major au 50.000° Fontainebleau N.-E. Châteauveau, le Nid d'Aigle, la Roche feuilletée, Milly, l'heure du train s'approche, gagnons directement Milly par la Croix Saint-Jérôme, la petite route pierreuse puis la route bitumée. Mais, s'il nous reste encore quelques heures, prenons le chemin des écoliers. De la butte portant la dalle de la Croix Saint Jérôme, descendons au Nord à travers une lande épaisse pour tomber sur un chemin qui, vers l'O.-N.-O., nous ramènera à une petite route empierrée que l'on suivra au N.-E. Pour rejoindre la route d’Arbonne à Milly. Suivons un peu cette route vers l'Ouest jusqu'à ce que les clôtures de barbelés cessent et remontons au Nord rejoindre l'aqueduc que l'on suivra sagement vers l'Ouest. Il franchit une butte par un chemin généreusement jalonné de coups de peinture puis redescend pour atteindre le fond d'un vallon très marqué qui aboutit « aux cent marches » (degrés de pierre franchissant un versant raide) ; avant les cent marches l'aqueduc fait un coude à droite, aux abords d'un « regard ». Quitter là l'aqueduc et continuer plein Ouest, montant schuss vers un pignon rocheux : le Nid d'Aigle pignon porté sur la carte E.-M. à l'Ouest de R de Rochers aux Voleurs). Monter au sommet du « Nid d'Aigle » où se trouvait autrefois un petit observatoire ; il domine un paysage étrange, sauvage. Repère au N.-0. Maison isolée au bord du plateau. Dans le vallon qui descend au Sud sur le flanc Est du Nid d'Aigle, nous pourrons trouver plusieurs rochers intéressants pour l'escalade et constitués surtout par de grandes dalles. Ce vallon nous ramène à un bon chemin que l'on suivra vers l'Ouest, passant au pied des carrières de la Roche Feuilletée et qui, s'infléchissant au Sud-Ouest, nous conduit à Milly, où nous prendrons le petit train départemental qui nous conduira à Corbeil (1).

Vous pourriez avoir accompli tout le trajet sans la moindre erreur, vous pourriez avoir échappé aux dangers terribles qui menacent les escaladeurs de murailles, vous pourriez avoir le cœur bien accroché. Lorsque les 4 wagons titubants, ivres de vitesse, plongeront, après avoir traversé Pressoir-Prompt et Plessis-Chenet, derrière leur chef de file crachotant et fumant de toute part, dans la pente qui conduit à la Seine et à Corbeil. Vous regretterez certainement les grattons de telle ou telle voie qui, eux au moins, ne bougent pas...

Maurice Martin - 1947


(1) Note de Topo Bleau.

Il existait effectivement un tortillard entre Milly-la-Forêt et Corbeil qui desservait de nombreuses gares. Nous avons pu retrouver ces quelques photos du train en gare de Moigny. Ces gares, transformées en habitation existent encore aujourd'hui...

Il suffit de regarder à droite peu avant l'entrée de Moigny-sur-École en venant d'Auvernaux direction de Milly-la Forêt pour apercevoir cette gare aujourd'hui devenue une maison particulière...