01 - La montagne a l'Ère des âges farouches

A en croire les mythes anciens, pendant longtemps d’innombrables démiurges caractériels ont gouverné sur la terre et dans le ciel. Et à en croire aussi les légendes anciennes, pendant longtemps les mers et les montagnes ont été habitées par d’innombrables créatures prodigieuses. Les unes faisaient trembler le sol, soulevaient des tempêtes alors que d’autres étaient capables d’envoyer de fulgurantes lumières dans les nuages afin qu'ils se métamorphosent en eaux torrentielles afin d'abreuver les terres désespéramment sèches ; car il se trouvait que certains démiurges, contre toutes apparences, n’étaient pas tout à fait méchants puisqu’ils favorisaient l’épanouissement de la nature ou décidaient favorablement des événements et des destins. Au fond, de tout temps, puisqu’il fallait bien s’expliquer comment et pourquoi le monde et l’humanité est apparut, autant qu'il fallait expliquer aussi les mouvements de la nature et les manifestations terrestres pleines de bruits et de fureurs, les humains ont supposé qu’elles résultaient de la volonté d’êtres surnaturels et puissants, sans que personne au passage ne se posait la question sur leurs propres créations. Intuitivement, ces créatures étaient simplement certaines, du fait même des phénomènes qu'elles expliquaient ; et d’autant plus certaines, qu’elles ont été à toutes époques et en tous lieux sur la terre, l’explication innée et universelle à toutes les choses qui n’en avaient pas à première vue. En tout cas, quelles que furent leurs apparences, quelles que furent les intentions que les hommes leurs prêtaient, ces personnifications des éléments et de la création, furent considérées comme indispensables à équilibre du monde, vu que sans elles, rien ne serait mouvement, tout serait ténèbres sur la terre.... Mais aujourd'hui, de ces croyances réelles, que ce faut-il en retenir ? Et bien que toutes ces créations de l'imaginaire ont été, universellement et depuis l'aube de l'humanité dans les esprits, l’incarnation harmonieuse de la force et de la vie sur terre ; et qu'à ce titre, elles sont devenues tellement tangibles dans l'imaginaire que l'homme a finit par redouter davantage l'incarnation que le péril incarné.

Comme nous venons de le voir ces êtres de l’ombre et de la lumière existaient du seul fait des croyances autant que des signes observables que le monde bougeait grâce à eux, un peu comme les enfants n’ont pas besoin que les fantômes tapis dans le noir existent pour qu’ils aient peur d'eux. Et cette peur étant tangible, en miroir elle devient la preuve que l'objet de cette peur est réelle, car comment peut-on avoir peur de quelque chose qui n’existe pas : ça serait folie. En gros nous sommes en train de vous dire en toute simplicité que les hommes à l’âge de pierre étaient aussi naïfs que des enfants. Et que, sans voir plus loin que le bout des apparences, ils ont inventé des idoles de toutes sortes puis les ont craints et vénérés comme s’ils existaient, en partie du fait qu’ils se figuraient qu’ils étaient présents quelque part au dessus de leurs têtes, et uniquement des leurs, et que leurs pouvoirs extraordinaires qu’ils leurs prêtaient, étaient observables au quotidien ! - Entre-nous, quel échafaudage les anciens n’ont-ils pas créé pour maintenir en équilibre le monde et l’horizontal. Car en plus, les hommes n’ont pas seulement conçu les dieux et les déesses, ils les ont humanisés en leur prêtant à leur image leurs sentiments les plus subtiles, tout en prétendant les contraire, qu'ils étaient à l'image de leur Dieu : c'est-à-dire pour être précis : leur psychologie, leur sens de la justice, leur morale qui dit ce qui est bien et ce qui est mal, et aussi leur caractère belliqueux. Cela est important car cet ensemble de dotations a permis alors, une certaine forme de dialogue entre eux: entre les dieux et les hommes, et en retour une compréhension infaillible de leur caractère divin : eux les hommes (pas les femmes et ceux qui croyaient mal et de travers). Ainsi, le monde étant conçu et globalement bien arrangé entre le bien et le mal, entre la puissance et la faiblesse, dès lors, par exemple, qu’un volcan craquait et propulsait sa lave incandescente sur les plaines fertilisées, du point de vue spirituel des hommes, certain que cet événement spontané était, soit un fléau intentionnellement épouvantable provoqué par un dieu impitoyable et rancunier qui cherchait à punir les hommes de leur passagère indifférence envers lui, soit une récompense mérité. Car de tempérament très terriens, les Dieux voulaient, comme les empereurs et les grands chefs de tribus, qu’on ne cessa de les craindre et les adorer suivant ce qu’ils pouvaient provoquer sur terre, en bien ou en mal. Ou en rien du tout d’ailleurs, ce qui est un comble lorsqu'on songe que l'homme a souvent posé genoux et fronts au sol devant rien de mieux qu’une figurine. Mais ça, c'est une autre histoire.

A lire comment nous présentons les choses, on pourrait penser alors que les hommes ont une propension à croire à n’importent quoi et à comprendre fréquemment tout de travers. Mais à leur décharge, qu'il faut reconnaître, puisqu’on a commencé l’histoire de l’escalade à Bleau en passant par ce type de sommets, que les volcans sont de drôles de monts : durant un temps parfois très long, ils semblent figés comme des montagnes ; ils récoltent la neige, retiennent des glaciers, et laissent bondir sur leurs pentes douces, des ruisseaux aimables et joyeux allant résolument nourrir les plaines domestiquées des environs. Et puis soudain, ils s’ouvrent, explosent, grondent, ravagent tout autour d'eux comme s’ils étaient en colère. Il faut reconnaître aussi, qu’aucune contrée au monde, aussi agitée soit-elle, n’est plus controversée que les montagnes ; à la fois, pleines de périls, escarpés, difficiles à vivre à cause de son caractère marqué, et à la fois, magnifique et généreuse comme une fée. Et pour les hommes qui n’étaient pas encore capables de comprendre le mécanisme naturel des saisons, la présence des glaciers et le déclenchement des avalanches, là-haut, au-delà de ce qu’il leur était utile de fouler, c’était le royaume de l’épouvante, une contrée mortelle, le domaine des dieux. Aussi dans ces conditions, comment les pauvres crédules qui vivaient au pied des grands monts, auraient pu le cœur tranquille, aller un sac sur le dos et un alpenstock à la main, au-delà des alpages. Aller plus loin que nécessaire, c’était comme violer la demeure des démons capables du pire, et ils étaient d’autant plus redoutables et puissants qu’ils avaient aussi le pouvoir d’être invisibles. Sans doute pensait-on qu’aller faire des traces sur les neiges éternelles, c’était comme risquer d’aller se plonger dans la marmite bouillante de l’Enfer, c’était une folie démesurée qu'on ne pouvait se permettre sans un excellent prétexte ; en tout cas, sans une raison vitale pour l’homme, ou jamais. Et comme à priori il n’y en avait pas, les hommes n'iront pas là haut pour leurs plaisirs. Aussi, pour conclure ce chapitre, nous dirons que tant qu’il y aurait des monstres là-haut, tant que les hommes n’auront pas évacué leurs peurs ancestrales, tant qu’ils ne sauront pas pourquoi il y a des éclairs, des tempêtes de sable, des avalanches et des tremblements de terre, il ne sera pas question d’alpinisme, d’andinisme, d’himalayisme et de refuges bondés. Et cette situation dura, dura, des milliers de générations d’homme.