2022 - le Rocher des bandits
Pépito
Le Rocher des Bandits versus Rocher Guichot : L'histoire d'une farce passée à la trappe...
Cela fait déjà plusieurs mois que je pensais écrire un petit texte pour raconter comment la communauté des grimpeurs a échappé au nom de Rocher des Bandits pour désigner le petit groupe de rochers qui n’avait pas de nom et que l’on nomme cependant aujourd’hui : Rocher Guichot. L’idée m’est venue, après avoir trouvé, étonné, dans le fatras de mes vieux papiers, la fiche de renseignements de la première mouture du circuit rouge que nous avons réalisé en 1979 avec mon ami Philippe Berger. Comme cela arrive lorsque l’on retrouve une vieille photo d’un événement que l’on croyait égaré dans un lieu inexplorable de sa mémoire, ce document m’a entraîné de songes en songes dans une sorte d’éther dans lequel flottaient les souvenirs oubliés d’une histoire de farces et attrapes.
A l’époque où commence ce petit récit, nous nous rendions dans les divers sites d’escalade des Trois Pignons en voiture. Aussi, même s’il nous arrivait d’apercevoir entre les branches dégarnies les premiers blocs du site dont il est question ici, ils nous semblaient bien trop proches de l’orée du bois pour avoir envie de s’y arrêter grimper. D’autant plus que ce petit site présentait à première vue peu de possibilités d’escalade et qu’il était souvent investi par des militaires en manœuvre qui y bivouaquaient comme à la guerre. Aujourd’hui encore, il est facile de voir dans quelles
conditions ils passaient la nuit aux fosses encore visibles qu’ils ont creusées sous les rares surplombs pour se protéger du froid et de la pluie.
L’intérêt pour ce massif s’est subitement révélé après que nous apprîmes, je ne me souviens plus par quelle voix, que les Trois Pignons seraient fermés aux véhicules. Et que cette fermeture serait accompagnée d’un plan d’équipement en harmonie avec les problèmes des forestiers. Entre autres : de limiter la prolifération anarchique des circuits et gérer les problèmes d’érosion dus aux grimpeurs… Tout cela avait été décidé deux ans auparavant, en 1977 exactement lors d’une rencontre entre les représentants des grimpeurs et la direction de l’ONF, au cours de laquelle le haut responsable a témoigné de la volonté de l’ONF de permettre une harmonieuse intégration de la varappe dans la forêt de Fontainebleau… Je ne doute pas que les débats ont été animés et riches en enseignements, néanmoins en final, ils ont permis d’établir un programme d’actions concertées : la priorité sera donnée à l’entretien et à l’amélioration (où aux remplacements) des nombreux circuits insatisfaisants souvent délaissés d’où l'adoption du fameux : Numerus Clausus. En clair, le nombre de circuits sera plafonné à ce qu'il existe, ce qui signifie qu'il ne sera plus question de créer de nouveaux circuits dans les massifs vierges de toutes escalades situés en forêts domaniales.
Lorsque j’ai eu connaissance de ce projet de fermeture et de la mise en place d’une réglementation concernant la gestion des circuits, la barrière et le parking de la Vallée de la Mée n’étaient pas en place et la liste officielle des circuits d’escalade restait à établir (Du moins, elle n’était pas encore achevée). Ce donc je me souviens, c’est la majorité des grimpeurs approuvaient cette fermeture aux véhicules mais en même temps courait la rumeur inquiétante que l’escalade serait uniquement permise dans les sites équipés d'un ou plusieurs circuits : vœu pieu sans doute fomenté dans l’esprit d’un fonctionnaire qui pensait que l’escalade ne se pratiquait que sur les circuits, la notion de l’escalade hors piste lui étant inconnue, semblait-il. En tout cas, compte tenu du contexte, je me suis hâté de créer un circuit avec mon ami Philippe Berger. Pour que ce site fasse partie des lieux autorisés à la pratique de l’escalade. On en disait tellement sur les intentions de l’ONF, organisation d’État, de nous cloîtrer que forcément la rumeur était fondée.
Vu les lignes d’escalade que nous vîmes en premier, celles qui se sont imposées à nous, notre préférence a été de créer en premier lieu un circuit rouge. Nous ne mîmes pas beaucoup de temps pour l’achever, deux ou trois semaines, le plus difficile étant de prévenir de son existence pour que notre plan machiavélique fonctionne. C’est là que nous découvrîmes que ce site n’avait pas de nom. Cependant il nous en fallait un pour pouvoir annoncer la présence d’un circuit… Qu'à cela ne tienne ! Nous saurons bien lui en trouver un. A cette époque, on avait tendance à se figurer être des marginaux, des citoyens à part, des résistants aux désordres de notre société, parce qu’on faisait une activité pas tout à fait comme les autres… Pour des tas de raisons, mais celle entre autres que c’étaient les grimpeurs eux-mêmes qui construisaient leurs terrains de jeu sans la moindre aide financière et technique : tout sur notre temps et de notre poche... Bref ! Nous avons choisi d’appeler ce groupe rocheux : Le Rocher des Bandits, et pour justifier ce nom
nous avons eu l’excellente idée de donner à chacune de nos voies, des noms dans le thème de la malfaisance, tels que L’Arnaque, L’Escogriffe…
Je ne souviens plus où elle a eu lieu, en tout cas c’est lors d’une réunion à laquelle j’ai été invité par Alain que j’ai annoncé au groupe de grimpeurs intéressés par la gestion des circuits d’escalade qu’il existait un circuit dans le chaos dit : Le Rocher des Bandits. Évidemment, personne ne connaissait et aussitôt on s’empressa de nous demander des précisions quant à son emplacement exact. Mais voilà qu’à la fin de la réunion, notre ami Alain nous prend en aparté pour nous expliquer en gros : que l’on ne pouvait pas donner le nom de Rocher des Bandits à notre groupe de rochers, que ça ne se faisait pas d’inventer des noms même pour une parcelle minuscule, qu’il y avait les cartes IGN et que c’était du sérieux et que jamais l’IGN n’officialiserait notre nom. En revanche, pour faire connaître ce circuit rouge ainsi que le circuit jaune en projet, si nous ne voyons pas d’inconvénient, on pourrait toujours faire paraître une fiche circuit dans la très populaire chronique des circuits qui apparaissait tous les trois mois dans la revue du CAF Paris Chamonix. En fait, il nous offrait de quoi nous consoler de cette impossibilité de donner un nom à ce massif qui n'en avait pas et en même temps il gagnait de quoi faire une nouvelle fiche : nous étions donc fait pour nous entendre.
Comme le principe de ces fameuses fiches était d'enjoliver les renseignements écris d'un relevé de bloc comme vu du ciel sur lequel était représenté l'allure du circuit nous nous sommes engagé à le fournir dans les semaines à avenir. Je me souviens, n’ayant pas de boussole ma compagne d’alors, la co-autrice du futur circuit jaune, avait pris en repère l’orientation le soleil, ce qui a eu pour résulta de donner un effet tournant au relevé de blocs. A L’époque, les dessins, c’était du fait main à l’encre de Chine avec les ratures en plus. Et on utilisait encore les plus et les moins dans les cotations.
Comme il nous fallait toutefois un nom et nous n’en avions toujours pas, nous avons suivi le conseil d’Alain nous avons cherché sur la carte des plus officielles de l’IGN, un nom au plus proche du groupe rocheux, et ça été celui du pignon situé loin au nord : Le Mont Guichot. Que nous avons transformé en Rocher Guichot. Cependant, comme nous n’avions aucune raison de changer les noms des voies, nous les avons gardés et consignés sur le document à paraître prochainement dans le prochain numéro du Paris-Chamonix. Mais quelques mois plus tard, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir qu’aucun ne fut consigné. Juste des numéros et des cotations moyés du blanc immaculé du papier inutilisé : censurés à cause que c’étaient des noms à la con comme nous l’apprendrons plus tard, sans doute parce que nos noms honoraient un peu trop les malfaisants ?
En même temps, encore à cette époque, très peu de créateurs baptisaient les voies de leurs circuits. Quelques unes tout au plus, les plus marquantes. Cet usage étant quasiment réservé aux voies dites hors piste ou de haut niveau pour l'époque. A noter que les cotations que nous avons données alors peuvent laisser rêveur aujourd’hui. Le document que je vous ai présenté plus haut représente la deuxième mouture du circuit rouge légèrement modifié avec ajouts de deux voies contre deux retirées, après que nous eûmes achevé le circuit jaune au cours de l'année 1980. A noter que nous avons à l’occasion relevé quelques cotations, mais semble-t-il, toujours avec timidité en regard de celles données aujourd’hui.
J’avoue que par la suite, j’ai regretté de m’être laissé naïvement embobiner à propos du premier nom que nous avions donné au site, celui d’avant Rocher Guichot. Nous avions obéi par confiance à un principe inscrit nulle part : celui de ne pas avoir le droit d'inventer un nom à un chaos rocheux qui n’en avait pas.
A l’époque, j'étais plus confiant qu’aujourd’hui. Je laissais plus facilement couler les impostures : don que je regrette d’avoir perdu à force de désobligeances. Oui, aujourd’hui, m’arrive aux lèvres le mot inadmissible en me souvenant des abus de pouvoir des gens sensés être nos partenaires, nos camarades, nos alliés.
Cependant, quelques années plus tard, je pris délicieusement ma revanche en silence. Une revanche qui en fait n’en était pas vraiment une. J’ai juste profité d’avoir eu l’autorisation par l’ONF de réorganiser l’offre en circuits du site de Rocher Guichot pour donner au nouveau circuit bleu tout un tas de noms évoquant la consternation, la tristesse, l’amertume... en deuil des noms des malfaisants à jamais enterrés que nous avions donnés quinze années auparavant. On a l’humour qu’on peut… Pour le circuit rouge, comme aucun nom n'avait été officialisé par l'intermédiaire d'une publication, je trouvais un nouveau thème pour nommer les voies qui me correspondait davantage : les femmes avec leurs drôles de noms d’oiseaux qu’on leur donne parfois : ces créatures merveilleuses capables de faire tourner les têtes comme les mages les tables en chêne. Aucun doute, elles sont infiniment plus passionnantes que m’importe quels monte-en-l’air dont j’ai honoré par bêtise la malhonnêteté. Rebelle, je ne le suis plus, l’illusion de marginalité ayant disparu avec l’âge. En tout cas, Le hors la Loi est devenu La Catin, Le Fribustier est devenu La Courtisane, Le Pick Pocket est devenu La Drôlesse… Et ainsi de suite. Preuve que je ne suis pas rancunier, j’ai envoyé à mon ami de toujours de quoi faire une nouvelle fiche à paraître dans la chronique des Circuits. En prenant, encore une fois la précaution de rehausser quelques cotations qui le méritaient. Par exemple, le 5c de Le Pick Pocket, oh pardon de La Drôlesse a été valorisé à 6b : c’est dire notre timidité à coter dur que nous avions en 1989.
Sans aller jusqu’à dire que j’aurais sans doute regretté d’avoir donné le nom de Rocher des Bandits à ce petit groupe de rocher s’il avait été officialisé, en prenant de la maturité comme d’autres de l’embonpoint pour avoir été trop gourmand de sucrerie, aujourd’hui le nom de Rocher des Dames me convenant bien mieux que celui auquel nous avons échappé. Et sans doute verrais-je cela d’un bon œil si à la place de Rocher Guichot emprunté au pignon situé bien trop loin pour lui convenir vraiment, on lui donnait un vrai nom, celui peut-être de Rocher des Dames comme j’aurai dû le proposer, il y a vingt cinq ans de cela quand j’ai travaillé aux topos du Cosiroc qui ont fait une partie de sa fortune.
Mais à quoi bon, évoquer les pluies glacées de l’automne qui précèdent les beaux cadeaux de Noël, car j’ai le souvenir réconfortant que ce qui reste de palpable au fond, ce sont les beaux jouets offerts aux enfants que nous sommes : des joueurs de blocs.
Ce que j’aimerais aujourd’hui, c’est que toutes les flèches du Rocher des Dames, oh pardon du Rocher Guichot disparaissent car il y a à présent suffisamment de marques pour s’y retrouver, de plus les grimpeurs ont suffisamment de mémoire et le sens de l’observation pour se passer de flèches.
Pepito, le 02-01-2022.