2013 - La Bleue du Gros Sablons

Pepito

La dernière oeuvre du vieillard qui écrivait des romans d'amour avec un pinceau en poil de cochon.

Contexte : D’un mot à l’autre. Sur le blog du club, j’ai posté pour les adhérents, cette bonne nouvelle : « Un bon plan : allez jouer du côté de la Butte aux Dames, qui se trouve peu avant Apremont Bizons. C’est tout neuf, et il y a de quoi s’amuser pour tous et toutes, même pour les " grosses du club "… ». Insolence de goujat ? Pas vraiment, car il se trouve que mes amies ont toutes des tailles fines, cependant, allez comprendre, certaines se trouvent un peu rondes d’un peu de partout... d’où cette plaisanterie moqueuse, car il est d’usage dans notre club de se taquiner depuis bien longtemps. En retour, j’ai eu droit à une petite missive qui m’a fait chaud au cœur : « Je sens l'auteur de cette magnifique prose mûr pour devenir le vieillard qui écrivait des romans d'amour. Signé : Une grosse grimpeuse ». J’ai donc suivi son conseil sitôt émis, ce qui explique le ton de ce texte censé présenter la nouvelle piste bleue des Gros Sablons.

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Une nouvelle fois, j’ai retroussé mes manches, tracé un chemin de pierre et écrit son nom au pinceau. Ne m’en voulez pas si je ne sais que parler d’elle. Je l’aime tant. Au début de notre rencontre, je n’avais point d’âge. Du moins, je n’avais pas encore vécu assez d’années pour qu’il devienne sujet de moquerie. Pourtant à cette époque, je n’étais sans doute pas moins ensorcelé par sa beauté, pas moins envoûté par son charme ; car aussi loin que je peux remonter le temps dans ma caboche, je trouve dans les cavités de mon cœur, l’empreinte de mon amour pour elle. Hier encore, congédié par les ténèbres, je suis rentré heureux de la forêt à l’heure du soleil couchant, le dos en miettes, les jambes lourdes et les bras brisés à cause de mes assauts répétés contre les magnifiques rondeurs du Gros Sablons. Car sachez, qu’en dépit de mes quarante années de passion musclée, ma flamme est toujours ardente, inassouvie, perpétuellement brûlante du désir de me livrer au corps à corps avec la matière de mon plaisir.

N’ai-je pas dit quelque part, combien j’aimais, comment j’aimais "sans baisser la garde" ? Oui, aller à Bleau, c’est comme aller jouir au bordel, c’est mouiller ses yeux de bonheur à chaque reptation victorieuse sur le dos rond de mon péché. Mais surtout n’allez pas imaginer que tout est question de muscles, de chiffres et d’endurance. L’âme aussi y trouve son compte, et c’est même là l’essentiel. Car aller à Bleau, c’est comme avoir un bon feu dans la cheminée qui vous réchauffe au cœur de l’hiver ; c’est comme sentir la douce caresse rafraîchissante d’un vent léger sur sa peau, lorsqu’elle est soumise à la brûlure ardente du soleil d’été. C’est bon à se damner ! C’est l’opium des âmes conquises par la beauté diabolique de Bleau. Car attention, aller à Bleau, c’est comme caresser la peau d'une vahiné dorée à point comme la chair tendre d’un pain d’épice, ça peut devenir un insatiable besoin, une envie constante, un réconfort, un art de vivre ; aller à Bleau, c’est une ordonnance mystérieuse émanant de l’air, comme si on était ferré par le chant envoûtant d’une flûte enchantée qui vous ramène insatiablement sur les rochers. Depuis l’aube de mon amour, je n’ai eu de cesse de chercher à partager mes ivresses, mes joies, ma satisfaction d’être en elle.


En somme, donner autant de plaisir que j’en ai eu à construire vos chemins de croix : car c’est cela ma richesse, mon karma magnifique, le roman de ma vie : donner. Pour ça, j’en ai poussées des brouettes remplies à ras bord, labouré des champs pour les fertiliser, besogné sans compter, à me vider de ma substance vitale. Mais ai-je pour cela mérité cette moquerie douteuse, que l’on me traitât de « vieillard qui écrivait des romans d’amour » parce que, avec une chaste légèreté que c’en est adorable d’innocence, j’ai osé le charmant petit mot « grosses » dans mon dernier article. Nom d’un rocher ! De par la douceur de mon âme, si débordante de générosité, chacun et chacune, aurait dû se douter que la formule « grosses du club », ne pouvait être, ni moquerie, ni injure, mais l’expression de ma tendresse dressée comme un menhir pour le genre féminin.

En tout cas, cela n’exprimait rien d’assez méchant et hostile envers vos rondeurs appétissantes, pour que l’une d'entre vous ne me destine précocement à gésir sous une pierre polie de grès gris, sur laquelle serait gravée cette épitaphe satyrique. A moins que par ces mots, au premier abord si cruels que mes yeux ont failli se noyer de chagrin, cette délicate personne ait voulu, à sa manière, me couronner de fleurs, méritées semble-t-il par l’insolente beauté de la seule phase qui l’ait émue : « C’est tout neuf, et il y a de quoi s’amuser pour tous et toutes, même pour les grosses du club ». Dans ce cas sachez, princesse de mes rêves, adorable partenaire que je ne connais point, que les fleurs je les préfère en bouquet plutôt qu’en couronne, même de laurier… A propos de fleurs, en allant flâner du côté des Gros Sablons, j’en ai trouvé de toutes bleues encore en boutons mais dépérissant sous la mousse et les fougères. Devant ce tableau désolant, il me fut impossible de détourner la tête, de jouer les indifférents. Quel embarras, la tâche était immense, propice à décourager les plus vaillants. En vérité, comme je suis une vieille personne à présent, digne de prendre pension à Kalymnos, mon corps aurait dû fuir devant le colossal travail à effectuer. Mais ma conscience chevaleresque armée du constant souci de partage, lui ordonna d’une voix impérieuse de les sauver de cette calamité. Aussi, pas le choix, sitôt après, la fleur au fusil, je me suis attaché à les dégager de leurs étaux. Et de fait, peu à peu elles reprirent vie, elles s’épanouirent puis se transformèrent, le temps de la floraison achevée, en beaux fruits juteux accessibles à tous et toutes…