07 - Voyage à la cîme du mont blanc

Horace Bénédict de Saussure, arriva à l’âge de quarante-sept ans, et vingt-sept années après en avoir eu le projet, au sommet du Mont Blanc le 3 Août 1787. Pour cette ascension, il était accompagné de Jacques Balmat, auteur de la première ascension avec Michel Paccard un an plus tôt (1), et d’une caravane de 18 personnes dont son valet de chambre. Comme il était venu pour ça, le savant effectua les observations et les expériences prévues, en particulier définir le point d’ébullition de l’eau en fonction de la mesure de l’altitude. A noter qu’à cette époque aucun grand sommet des alpes n’avait encore connu d’ascension, seuls quelques sommets modestes ont été foulés, et souvent parce qu’ils constituaient de magnifiques observatoires pour observer les glacières et le Mont Blanc, tel que le Mont Buet (3096m) visité par monsieur de Saussure en 1776.

Cette gravure, dont on ne voit ici qu'un fragment, a été réalisé par Monsieur Bourrit à la demande de Monsieur de Saussure. Impossible d'imaginer avec de telles tenues qu'ils montaient au Mont Blanc. L'homme sans fardeau est le commanditaire de l'ascension.

Que dira-t-il du spectacle qui s’étalait devant lui du sommet du Mont Blanc : « Ce que je vis avec la plus grande clarté, c’est l’ensemble de toutes les hautes cimes dont je désirais depuis longtemps connaître l’organisation. Je n’en croyais pas mes yeux, il me semblait que c’était un rêve, lorsque je voyais sous mes pieds ces cimes majestueuses, ces redoutables aiguilles, Midi, l’Argentière, le Géant dont les bases même avaient été pour moi d’un accès si difficile et si dangereux… ». Une fois de retour à la vallée, le lendemain de l’ascension, Monsieur de Saussure se réjouit de son retour sur terre où « Nous ne craignions pas de voir s’enfoncer nos pieds ». Il écrira d’ailleurs : « J’eus un grand plaisir à les ramener tous sains et saufs », en parlant de ses guides et porteurs. Cela peut surprendre, car l’on imagine aisément, plus de deux siècles plus tard, que ses paroles auraient pu être celles de ses guides, satisfaits de ramener leurs clients. L’alpinisme n’existait pas encore, le métier de guide de haute montagne non plus, ou du moins, ces hommes étaient temporairement au service de Monsieur de Saussure pour une entreprise dont il était l’instigateur et le seul à pouvoir prétendre une utilité à cette ascension. Il écrira d’ailleurs : « Je me devais de pratiquer des observations scientifiques… Elles seules donnaient de la valeur à mon projet ».

Les gravures panoramiques du massif du Mont Blanc exécutées par Mars Théodore Bourrit sont aujourd'hui utilisées pour comparer l'état des glaciers du fait de son souci de représenter les montagnes telles qu'il les voyait à son époque. Sources : gallica.bnf.fr / Wikipédia.

Il semblerait que Monsieur de Saussure n’ait point eu l’obsession d’être le premier homme à gravir le Mont Blanc, du moins d'être de la première expédition victorieuse. Du moins rien ne l'indique dans ses écrits et son comportement. Cependant, il apparaît que le Mont Blanc a été gravi du fait de son investigation et cela a suffit à ses contemporains pour qu’il en reçoive en grande partie le mérite, quand bien même que Saussure atteindra le sommet que lors de la troisième expédition réussie. Pour comprendre pourquoi que Monsieur de Saussure peut être considéré comme le principal pionnier de l’ascension du Mont Blanc, il faut remonter en 1760, année de son premier voyage à Chamouni. Il avait vingt ans. Dès qu’il fit la découverte de cette montagne, l’envisageant comme « absolument inaccessible », il considéra néanmoins possible son ascension. Et aussitôt il fit publier dans toutes les paroisses de la vallée, qu’il donnerait une récompense assez considérable à ceux qui trouveraient une route praticable pour y parvenir. Il avait même promis de payer les journées de ceux qui feraient des tentatives infructueuses. Mais « Ces promesses n’aboutirent à rien », écrira-t-il plus tard. En effet, il lui a fallu attendre quinze années pour que quatre guides de Chamouni tentent enfin d’y parvenir… Dans la journée, « parce que les gens du pays ne croient pas que l’on puisse se hasarder à passer la nuit sur la neige ». La tentative suivante aura lieu huit ans plus tard par trois autres guides. En 1784, soit l’année d'après, une tentative de M. Bourrit, (2) « qui mettait encore plus d’intérêt que moi à la conquête du Mont Blanc, écrira M. Saussure, se solde également par un échec après avoir atteint l’aiguille du Goûter. Persuadé d’avoir découvert la route qui conduit au sommet, une nouvelle tentative unira M. Bourrit et M.Saussure en 1785, bien que ce dernier eût préféré « entreprendre seul avec ses guides, ce genre d’excursion ». Enfin quelques mois plus tard, le Mont Blanc est atteint par Michel Paccard et Jacques Balmat qui se rendra à Genève cinq jours plus tard, pour réclamer la prime promise 25 ans plus tôt.

L'œuvre montre la montée de Mr de Saussure à la cime du Mont Blanc au mois d’août 1785. La scène représente sans extravagance Saussure bien entouré par ses guides et porteurs, mais il est impossible de reconnaître le paysage qui semble imaginaire...


Cette gravure réalisée par Bourrit montre la route suivit par la Caravane de Monsieur de Saussure qui le conduisit au Mont Blanc : Source inconnue de l'auteur.

Aujourd'hui encore, Horace-Bénédict de Saussure est considéré comme le fondateur de l'alpinisme, du moins comme étant le fondateur de l'alpinisme « scientifique ». Cependant, d'un point de vue purement chronologique, et en considérant qu'est alpiniste tout homme qui a atteint un sommet jugé aux premiers abords inaccessible, de quand date l’invention de l’alpinisme, la réponse ne fait pas l’unanimité. Il arrive même que suivant le parti patriotique de quelques-uns, l’on découvre bien des arguments pour désigner formellement un inventeur et un sommet, bien de chez-soi, alors que le lieu de naissance, donc la nationalité, n'avait aucune importance, cette notion ne devenant idéologiquement importante que plus de cinquante ans plus tard (3). Ceci dit, la majorité des historiens s’attachent à présenter l’ascension du Mont Blanc comme le début de la conquête des Alpes. Sauf que certains situent l’invention de l’alpinisme à partir de la réussite du savant suisse alors que d’autres précisent que c’est chronologiquement avec l’ascension du guide M Paccard et J Balmat, justement parce qu’ils n’avaient pas de mobile autre que de devoir faire l’ascension pour elle-même (4). L’invention de l’alpinisme ne s’est pas faite en une ascension, comme la conquête du Mont Blanc ne s’est pas faite en un jour. L’ascension du Mont Blanc est avant tout une aventure humaine : Monsieur De Saussure était un homme de science avant d’être un véritable alpiniste ; tout comme ses guides sont devenus de véritables guides de montagne du fait même de la hardiesse de Saussure à vouloir « monter le Mont Blanc » pour y effectuer des expériences. La conquête du Mont Blanc s’est faite à la grâce de l’ensemble de ces hommes et chacun dans l’excellence de l’accomplissement de son rôle. Donner une date et des noms, à plus forte raison une nationalité, comme on donnerait les résultats d’une compétition sportive planétaire, cela ne suffit pas pour expliquer la genèse de l’alpinisme… Autrement dit, s’il y a eu effectivement invention de l’alpinisme, nous ne saurions donner une date, ni en attribuer le mérite à quiconque, sauf si l’on considère, a priori, les différents mobiles explicités des ascensions. Par exemple : si l’on considère l’acte de conquête, aller là où personne n’a été avant (avec ou sans prétexte scientifique), dans ce cas, l’alpinisme existait avant la première ascension du Mont Blanc puisque l’on peut évoquer l’ascension du Mont Aiguille menée par Antoine de Ville (5). Ou encore à l’effort gratuit, gratifié du simple plaisir d’aller là-haut, comme l’a fait Conrad Gessner pour le Mont Pilate, et pour laquelle il en fit beau récit.

Durant les décennies suivantes, l’attrait que suscitèrent les montagnes grâce dans un premier temps aux descriptions gracieuses des premiers visiteurs cultivés, puis par l’ascension spectaculaire de Saussure, bouleversa « le village pittoresque » de Chamoni pour le transformer au goût de la noblesse anglaise et européenne en un lieu de villégiature raffiné. Ce sont d’ailleurs les anglais eux-mêmes qui feront construire les premiers hôtels luxueux. Du moins suffisamment pour accueillir la clientèle aisée venue de toute l’Europe. Et certains de ces visiteurs qui montreront un goût pour l’effort physique, du moins venus pour les excursions sur les glaciers, atteindront chaque année le sommet du Mont Blanc. Car le Mont Blanc connaîtra beaucoup d’autres ascensions pour des raisons scientifiques, et il faudra attendre 1811 pour qu’un second plus de quatre mille soit gravi par des ascensionnistes suisses, et 1838 pour que le Mont Blanc soit gravit seulement "pour le plaisir" par Henriette d'Angeville. (6).

Descente de Mr de Saussure de la cime du Mont Blanc au mois d’août 1785. La scène représente sa rencontre avec M.T Bourrit venu à sa rencontre. Malgré la motivation de ce dernier, il ne parviendra jamais au sommet du Mont Blanc, trop pauvre pour monter une telle expédition. Œuvre de Johann Peter Lamy (1790-1840).

  • (1) - Le 8 août 1786, première ascension du Mont Blanc par les deux Savoyards, le médecin Michel Gabriel Paccard et le cristallier Jacques Balmat. On lit souvent que « On s’accorde à admettre que cette première ascension de Mont Blanc marque la naissance de l’alpinisme ». La formule consacrée laisse entendre un manque d’assurance, qu’on ne connait pas la date exacte ni a quelle ascension doit-on déclarer la naissance de l’alpinisme, cependant que si l’on doit en choisir une, autant dire que c’est là. En réalité : l’alpinisme ne s’est pas fait en un jour, ni en une ascension, aussi magnifique soit-elle.

  • (2) – Marc-Théodore Bourrit est l’auteur des : description des glacières de Savoye, présenté au chapitre 6. Ses panoramas dessinés étaient très fidèles à la réalité et demeurent une référence quant aux différents aspects des glaciers entre son époque et aujourd’hui.

  • (3) - M Paccard et J Balmat, sont originaires de la vallée de Chamouni : lieu-dit du Royaume de Sardaigne, anciennement Duché de Savoie. Le Duché de Savoie, au cours des siècles fut régulièrement partagé entre la France, l’Italie, la Suisse et même l’Espagne avant d’être rattaché au Royaume de Sardaigne, la proéminence chauve du Mont Blanc ne sera couper en deux que lorsque la vallée de Chamonix sera rattachée à l’hexagone en 1792. Avant cette époque, le Mont Blanc était vu comme appartenant à la Suisse, la vallée de Chamouni de même.

  • (4) - La conscience aujourd'hui de ce qu'est exactement l'alpinisme, permet de spéculer pour faire dire après, ce que nul ne pouvait avancer à cette époque, pour la simple raison que l’homme alpiniste, l’alpinisme conscient, n’arriva que plus tard. Le moteur de l'alpinisme ne fut d'abord pas patriotique comme au XXème siècle mais bien scientifique avec ce que cela suppose d'impériale.

  • (5) - Le plus haut si possible ou le plus inaccessible tel le Mont Aiguille. Une ascension menée comme on aurait mené l’assaut d’une forteresse. Cité souvent comme un acte d’alpinisme…

  • (6) – La pointe Giordani, adossée au Mont Rose, sera atteint par l’ascensionniste du même nom en 1801 mais rare les fois ou historiquement cette ascension est cité comme une réussite, cette faveur étant réservé à l’ascension de la Jungfrau en 1811, le deuxième sommet de plus de 4000m atteint