2024 - Deux nouveaux bleus

L'un au Pignon 91.1 suivi d'un autre à la Drei Zinnen

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Préambule : Créer un circuit en deux temps trois mouvements ! 

Depuis peu, il est possible de parcourir deux nouveaux enchainements de niveau bleu dans les Trois Pignons : l'un au Pignon 91.1 et l’autre à la Drei Zinnen. Bien entendu, la mise au point de ces deux circuits implique un gros investissement d'heures de travail… qui dans notre société où tout labeur mérite salaire ne se justifie raisonnablement et rationnellement assez peu puisque les centaines d'heures investis n'ont rapportés aucun sou aux entreprenants... Qui  étrangement, n'en demandent pas puisqu'ils opposent à ce vieil adage : Le temps c'est de l'argent !,  celui-ci pas moins ancien : Quand on aime, on ne compte pas ! Mais, raisonnablement jusqu'à combien de temps peut-on travailler pour rien ? 

Vraiment ! Sans en tirer le moindre petit bénéfice ? Pour sure, s'ils en font tant, c'est forcément pour une bonne déraison... Mais quelle est-elle au juste ?  Pour arriver à elle, commençons par une petite fiction réaliste dans laquelle certaines amies et certains amis pourraient bien se reconnaître.  

Deuxième temps, deuxième mouvement.

Quelque part, de nouvelles escalades sont nées. Mais vous n’en savez rien encore… Cependant, comme vous êtes curieux et que vous aimez découvrir des nouveaux sites et des nouvelles escalades sur du rocher à peine déballé du carton, de temps en temps vous consultez les divers médias qui informent des nouveautés sur lesquelles accrocher vos doigts qui vous démangent comme une piqûre de moustique. En l’occurrence pour Bleau, les sites web où vous avez une grande chance de dénicher les informations inédites, en particulier sur un éventuel circuit fraîchement préparé qui soit dans vos cordes. À moins que ce soit quelqu’un de votre entourage qui vous informe des nouveautés du moment et que c’est très bien comme ça, puisque aller sur les sites web qui parlent d’escalade, ça ne vous intéresse pas. En-tout-cas, comme il se trouve qu’il y a effectivement un nouveau circuit qui pourrait bien vous plaire, avec quelques amies et amis, vous vous donnez rendez-vous, puis en voiture Simon, direction Bleau. Si bien que peu après vous voilà rendu au départ circuit qui est bien comme indiqué sur votre topo fraîchement imprimé trouvé par chance sur Topo-Bleau.

D’expérience, on sait que la première chose à laquelle l’on pense, au bout de deux ou trois voies visitées, c’est que ça va être plus dur que le laisse penser les indications du papier, trop dur même pour la couleur annoncée. Puis fatalement arrive le regret que tout ne soit pas totalement débarrassé de la poussière du brossage. Effectivement, il y a comme quelque chose qui roule sous les doigts des mauvais aplats de sortie de la voie numéro 11. Pas beaucoup de prises à peaufiner dans l’ensemble, mais assez pour émettre cette remontrance à l’intention de ses camarades, qui en bons amis se montreront tous d’accord avec vous : Franchement, ils exagèrent, ils auraient pu « taper leurs prises » avec leur pof avant de vanter leur truc. Et puis, il y a les voies un peu trop athlétiques et celles un peu trop hautes que l’on refuse de tenter, car tout le monde sait que lorsque c’est haut, le pas le plus dur de la voie est toujours à la sortie. Bon allons voir la suivante ! Et puis, il y a les voies dont on ne comprend pas la méthode. Et puis les petits murs avec des grattons agressifs ou avec un mono qui fait mal. Et puis, il y a deux voies de suite qui sont carrément trop faciles. Et puis enfin la ligne pure qui est dans son genre, placée entre demi-trop et demi pas-assez. Bref juste au milieu comme il faut pour être heureux. Comme on l’adore celle-là, plus que toutes les autres, alors on la refait devant ses camarades qui eux semblent un peu moins convaincus quant à la perfection de son équilibre. Et puis, il y a encore le reste, qu’on n’a plus le temps de faire et dont on se promet de revenir. Car globalement, c’était pas mal. De plus le rocher est super adhérent, et tant que l’on s’étonne encore d’avoir pu arriver à tenir sur des adhérences jugées impossibles à agripper de primes abords.

Deuxième temps, troisième mouvement.

Avant de reprendre la route pour chez-soi, il y a des grimpeurs bien léchés qui ne sont pas contre se laisser couler un peu de bière fraîche dans leur gosier comme pour fêter les belles réussites du jour. Car somme toute, la séance n’a pas été si mauvaise que ça. Et après avoir décapsulé sa canette, l’un de vous osera dire : Aux ouvreurs ! Car grosso modo, il a trouvé ce nouveau circuit globalement plaisant même si on n’a pas tout aimé. Aux connards qui nous en ont fait voir ! Corrigera, sourire aux lèvres, l’un des convives, légèrement plus rancunier. Et peut–être en se demandant : Curieuse manie ! Qu’est-ce qui peut bien inciter des gens à s’amuser, à coup d’heures de travail, à tendre des pièges de rocailles aux grimpeurs qui n’ont rien demandé. Surtout, comme chacun le sait, qu’à l’encontre du vœu des créateurs, le circuit dont il vient en partie de parcourir est une œuvre vouée à disparaître à plus ou moins long terme. Éphémère comme la beauté d’un champ de coquelicots, car fixé avec un colorant chimique si fragile qu’on le dirait programmé pour se détruire en un rien de temps : œuvre éphémère, car sans ses signes de liaison, elle se dissipera inévitablement dans les nues à en perdre jusqu’à son souvenir. Oui, qu’est-ce qu’il a bien pu se passer dans la tête de ces bosseurs de l’inutile pour se fader un circuit dont on n’aime pas tout et qui à toutes les chances de disparaître dans l’indifférence générale ? (1)

Premier temps, premier mouvement.

Il se passe en préambule, que dès qu’ils voient une belle silhouette rocheuse traverser le paysage, c’est plus fort qu’eux, la langue pendante, ils ne peuvent s’empêcher de l’imaginer dévêtue d’une partie de sa fourrure naturelle, en spéculant sur le plaisir à prendre dessus. (Non, pas totalement nue, car la roche est bien plus belle quand il reste dessus un voile de verdure). C'est ainsi, sitôt le rocher déshabillé des yeux, les voies apparaissent comme déjà dessinées sur la pierre du simple fait d’établir mentalement une gestuelle, une esquisse de mouvements soumis aux prises devinées ou fantasmées. Grosses ou minuscules, un ensemble de prises contient des mouvements et un dénouement. Elles offrent une ligne à suivre, sinueuse ou directe avec parfois des croisements et des bifurcations suivant l’interprétation que l’on prête à l’arrangement hasardeuses des prises, qui ne sont pas toutes destinées a être prise. Faire œuvre de redondance, c’est créer ou produire ? La simplicité d’une ligne est beauté. La complexité des gestes est beauté aussi. Trouver l’équilibre... 

Ne vous étonnez pas si après avoir regardé en faisant le tour une roche qui a un peu d'élan, qu’ils l’abordent franco ces allumés en faisant des sourires. Car ils savent, que presque toujours, les promesses convoitées se confirment : que de bonnes surprises dissimulées, que seul l’œil averti un peu chasseur sur les bords semble voir.

Premier temps, deuxième mouvement.

De cette appétence, vont naître les premières voies toutes belles d’attention et de soin : d’abord six ou sept, tout au plus. Mais peut-être que, en suivant le filon, le regard au point ! Pour bien comprendre, ce qui se passe dans le cerveau de ses écumeurs boulimiques, il faut voir que c’est un peu comme en cuisine : ils salivent de plaisir rien qu’à l’idée déguster un bon repas. Et comme ils veulent passer du plaisir suggéré au plaisir véritable, concrétiser leur désir, tel un grand chef cuisinier qui a la passion des bons produits, le sens du goût, l’envie de créer, de la sympathie pour ses convives, ils usent, sans penser fatigue, de verbes de boulot : sélectionner, râper, couper, éplucher, trancher, mélanger, écraser, fouetter, trier, séparer, cuir, mijoter, assaisonner, garnir, arroser, goûter, déguster, mettre en bouche… En finale, de beaux verbes de plaisir ! La gourmandise est un défaut plaisant à accepter son entrée en enfer. Les damnés ont un dicton que vous n’entendez jamais, mais que vous connaissez tous d’instinct : Quand c’est bon, il en faut beaucoup ! Ils ont commencé les hors-d’œuvre, ils veulent poursuivre leur création jusqu’au désert. Si des premières six ou sept voies, nos entreprenants veulent en faire tout un festin, ils n’ont pas le choix, il faut qu’ils arpentent les chaos rocheux dans tous les sens pour en dénicher d’autres, renouveler leurs fantasmes d’ascensions même modestes, car il n’est pas question de se farcir du tout-venant, de faire de tout bloc une voie, de mettre au monde des bouses. Ils ont leur fierté. C’est qu’ils veulent servir sur un plateau d’argent que de la belle voie sur de la belle roche vierge, ces cochons. Entre nous, dit d’un petit souffre confidentiel dans votre oreille indiscrète : qui n’en voudrait pas ?


La machine à vapeur est lancée. Les allers-retours s’additionnent. Ils dépensent sans compter. Ce qui signifie que le travail de prospection se poursuit à longueur de temps, brosses et chiffons en main. Et de nouvelle voie en nouvelle voie, un plan de campagne se dessine, le parcours du combattant avec ses multiples obstacles prend de l’allure.

Premier temps, troisième mouvement.

Si l'idée les prends d'organiser l'enchainement sur la forme d'un circuit marqué à la peinture pour mieux le suivre à la trace. Terminés les jubilations, finis de jouer, stop les rêveries élaborées… Il faut passer du labeur, au laborieux ; de l’action plaisante aux tracas administratifs. Pas le choix puisque les rochers convoités ne leur appartiennent pas, mais appartiennent à des gens qui peuvent, ou qui ne veulent pas accorder la pratique l’escalade chez eux et autoriser son équipement. Oui, il ne suffit pas d’avoir une certaine facilité pour repérer des voies d’escalade qui semblent invisibles aux yeux des profanes, il faut aussi avoir du talent pour la diplomatie. Pour chez-nous, en pays de Bleau, si la demande est raisonnable et bien présentée et que le circuit semblent être potentiellement utile à la communauté des grimpeurs, les entreprenants obtiennent presque facilement la permission d’ouvrir leur pot de peinture.

Mais pas de précipitation : nos drôles de lascars doivent passer l’épreuve du : qu’en disent les grimpeurs ? Comme, les créateurs d’escalade prête à grimper les fabriques aussi pour les autres et non pas seulement pour le seul plaisir, tels les grands chefs, ils font le tour des tables avec des : dites-moi tout franchement, afin d’inciter les convives à donner leurs avis, leurs suggestions et remarques… Et aussi des félicitations qui sont des indicateurs de satisfactions comme les autres. Vous savez, ce n’est pas si facile d’être testeur de circuit, d’être celui qui va choisir pour les autres, car au cas où ils ne critiqueraient rien, cela signifie que tout est bon, qu’ils se sont régalés. Ce n’est pas si facile, car il faut que les convives arrivent à retrouver les mouvements découverts par les ouvreurs, séquence de mouvements qui ont servi à dire que la voie est de niveau bleu par exemple alors que les testeurs sont dans le rouge avec la leur. Dans ce cas, arrive l’envie de les mettre dans la voie : Vous ne trouvez pas ! Aller un petit indice… Non ! Oui ! Ensuite, soit ça passe mieux ou soit la voie leur reste à travers la gorge. Il est recommandé que les ouvreurs regardent, à l’insu des grimpeurs épiés, comment ils accueillent les voies nouvelles. S’ils observent que la majorité des grimpeurs boudent telle et telle voie, ou ne les sortent pas, c’est l’indice qu’il y a problème, un désaccord chronique… Que faire alors ? La solution est peut-être d’abandonner les voies qui ne plaisent pas, et en trouver d’autres encore inaperçus pour les remplacer. Évidemment, l’ordre des choses étant imparfait, ça va changer aussi le cheminement de l’enchaînement… Mais, si nos lascars veulent que leur composition plaise et qu’elle soit utile, il faut impérativement revoir la copie du plan. C’est pour ça qu’il arrive, qu’il y ait jusqu’à cinq versions différentes du circuit. Ce qui a tendance à affoler les observateurs qui ne savent plus quelles infos vendre à leurs clients, qui, de toutes manières, passeront comme argent comptant (Comprend qui peut). N’empêche que peu à peu le projet se consolide, le cheminement du circuit devient évident, si les concepteurs se résignent à abandonner les voies trop à l’écart ou qui dénotent avec l’ensemble. Puisque pour eux, par exemple, il n’est pas question de retenir les voies exposées quand le caractère global de la piste est à l’engagement modéré : question aussi de responsabilité morale. Bien qu’il arrive que certaines de ces voies hors des clous, soient toutefois mise en bis, si elles sont remarquables. On ne dirait pas comme ça, mais il y a beaucoup de décisions prises pour parfaire au mieux un circuit dont la plupart les grimpeurs ne peuvent deviner, en suivant le parcours proposé.

Deuxième temps, premier mouvement.

La scène se passe en coulisse. En moyenne, il faut au moins trois mois pour mettre un circuit au point final, et une demi-journée pour le peintre (On comprend que les circuits conçus et peints en une ou deux après-midi ne peuvent être satisfaisants.). Quand, je dis que nos poètes de blocs mettent trois mois, ça signifie plus précisément, que chacun d’eux peut aller jusqu’à consacré 180 heures pour mener à bien leur création, toutes opérations comprises (Prospecter, étudier, défricher, nettoyer, brosser, sécuriser, escalader, déplacer, essayer, buter, grimper, peaufiner, négocier, améliorer, coter, dessiner, lister, écrire, poster, écouter, accompagner, décaper, peindre, rincer… Aimer et détester aussi). Le plus dingue dans cette histoire, ce n’est pas par métier tous ces verbes de boulot, c’est bêtement par passion. Une passion chronophage difficile à comprendre, même par ceux qui en profitent vu comment certains nous parlent. Comme chacun sait, le temps, c’est de l’argent. Ce qui signifie qu’au prix où sont payés les ouvriers qualifiés, la réfection d’un circuit pourrait revenir à 4200 euros environ ou plus pour les prestations les plus gourmandes en temps (2). Ça coûterait plutôt bonbon pour le sport gratuit, si le temps passé était reconvertie en papier-monnaie. Mais pas de culpabilité à avoir, puisque la majorité des circuits créés et amendés, le sont par des gens en pleine forme qui sont payés pour rester se reposer chez-eux, après plus de quarante années de labeur salarié. Paradoxe invraisemblable, car il y a quelque chose de capitalistement aberrant, de travailler en prenant dans son temps compté, sans récolter le moindre pécule, même pas de quoi se payer une tablette de beurre à fondre sur ses nouilles chaudes. En somme (perdue à jamais) élaborer un circuit, c’est réduire son temps propre à aucune valeur, à le jeter par la fenêtre. Ah, les naïfs qui n’ont rien compris au monde moderne et comment celui-ci marche avec ses cotes de marchés en bourse. Ah, ils peuvent toujours se foutent de la tronche des gens qui construisent des châteaux-forts en collant des allumettes ou qui gribouillent à longueur de journée des grilles de mots croisés de force cinq sans case noire : moqueries qu’ils ne se permettent pas en réalité. N’empêche, ils doivent s’ennuyer à mourir pour s’emmerder de la sorte pour des clopinettes !


Notes : 


1) Comme la précarité du circuit est inévitable et que nous ne pouvons pas en augmenter le nombre non plus, pourquoi alors ne pas renoncer à toutes tentatives de conservation par marquage et se contenter de composer des enchaînements fictif pour le plaisir immédiat. Inventer des enchainements sans les marquer est le parti que nous avons prit il y a déjà plusieurs années, ce qui nous a pas empêché en même temps de rénover de nombreux circuits. Nous savons que les circuits fictifs s'effaceront des mémoires encore plus vites que les autres : les circuits peints. Mais, presque rien n’est perdu en réalité, puisque le matériau demeure à porté de main et c’est bien là l’essentiel. De notre proposition de circuit fictif de la Drei Zinnen, il restera toujours quelques voies qui seront faites, seul l'enchainement imaginé sera détruit.


2) Réfections des circuits de la cuisinière, d’Isatis, de la Padole…


Topos de ces circuits aux pages dédiées aux pistes situées dans Les trois Pignons.

Val dans le mur Baptême de l'Air

Une haute du bleu fictif de la Drei Zinnen.

Phil dans la traversée Miss Bleau 2024

Une du bleu fictif de la Drei Zinnen.

Cath dans Echange Gagnant. L'une des bleues de la 91.1.