05 - La conquête de l'espace

A tous les âges et en tous lieux du monde, les montagnes blanches ne sont pas passées inaperçues. Qu’elles ont été longtemps tenues par les hommes pour des monticules providentiels d’où s’écoulait la vie à la manière des torrents qui croissent et deviennent des rivières, puis des fleuves comme la végétation, résidence de la vie sauvage, semble naître parcimonieusement des hautes montagnes pour croître ensuite, et s’épanouir en descendant… Du moins l’écoulement de la vie peut être ainsi, si le regard voit son mouvement dans ce sens positif : au sens contraire de certains autres hommes, qui pensent que la vie s’éteint progressivement avec la hauteur.

La Montagne blanche : A la fois, source de vie, royaume des morts, sanctuaire des éternels et quoi d'autre encore. Au moins une certitude : impossible d'être indiffèrent devant de tels joyaux de la nature, et comment exprimer ce que l'homme ressent d'elles.

- Quelle est donc alors la bonne affirmation : la vie coule des sommets ou s’éteint au fus et à mesure qu'on s'en approche ? - Poser cette question ne peut être que l’écho d’un malentendu. Car choisir l’une en écartant l’autre, c’est se tromper à coup sûr, puisque les deux approches, qui semblent antinomiques, sont en fin de compte pertinentes pour dire ce qu'il est effectivement...

Tout ce préambule, pour tenter de faire sentir que la vérité d'une chose, ce n’est pas l’image que l’on veut en donner ou que l’on se fait en fonction de ses dispositions à voir l’immatériel et le fantastique mais au le fait, que la vie végétale et animale évolue effectivement avec l’altitude ; car les conditions qui sont propices à son développement varient. Autrement dit, si l’on s’en tient aux tournures de langage, aux métaphores, aux allégories, toutes les vérités sont bonnes à dire, même si elles semblent se contrarier. En effet, si on y consacre un peu d’attention, on s’aperçoit, comme nous l'avons en partie vue lors des chapitres précédents, que la montagne est le sujet même des controverses, des malentendus, des illusions, des paradoxes, des amalgames, des spéculations mystiques ; en quelques mots : le lieu de perceptions et d’interprétations multiples qui ne sont pas des vérités en soi mais son expression. En somme, il ne nous a pas été aisé de s’y retrouver parmi l’incroyable multitude des mythes, légendes, et interprétations que nous avons découverts lorsque que nous nous sommes attachés à parler des cimes, des hommes, ainsi que de leurs manières de les voir et de les approcher à distance respectueuse suivant les vertiges qu’ils ressentaient à l’approche des abîmes… Dit, plus simplement, nous ne soupçonnions pas en commençant ce récit ironiquement loin dans le passé que le sujet s’avérera être un tout culturel complexe comme un labyrinthe où il est facile de s’égarer.

Tant et si bien : les longues retranscriptions que nous en avons faites dans les chapitres précédents, auront peut être fait froncer les sourcils de scepticisme, donné le sentiment que nous nous complaisons à flâner dans l’imaginaire au lieu d’aborder concrètement la véritable histoire de l’escalade à Bleau. Sans doute, un peu ! Toutefois ce travail, nous aura permis de nous apercevoir que, quelles furent leurs perceptions et leurs interprétations, les hommes ont depuis toujours fait de la montagne une héroïne fabuleuse au pied de laquelle les hommes n’étaient que de petits frileux affabulateurs sans le savoir. Puis un jour, à un lieu précis de la planète, c’est devenu le contraire : l’homme conquérant, l'homme alpiniste est devenu le fier héros de l’histoire, et la montagne, même si on fait encore des oraisons poético-mystiques à la gloire de sa beauté, elle est devenue concrètement, à peine plus qu’une plissure du temps sortie de terre par accident tectonique.

Devant ce constat, il nous était impossible de ne pas nous demander : - Que s’est-il passé dans les esprits ? – Pourquoi les hommes « modernes » n’adhèrent-ils plus aux croyances et aux allégories d’autrefois ? - Comment et pourquoi après quarante milles ans d’une relative tranquillité, après avoir été vénérées, mystifiées, idéalisées, les montagnes ont-elles subitement été désacralisées en devenant l’enjeu d’une compétition sans merci ? - En somme pourquoi les hommes en sont-ils venus à s’approprier la montagne ?

Moïse se reposant sur les tables de la loi écrites de la main de Dieu. Au second plan, une représentation stylisée des montagnes du Sinaï où Moïse les reçues. (Œuvre de Jacques de Létin, 1597 - 1661).

La réponse que nous donnons à ces questions, sera peut être perçue comme une extrapolation cogitée à partir d’une intuition confuse. Comme n’étant qu’une tentative de démontrer les fondements de cette intuition, sans véritablement parvenir en faire une vérité observable. D’une certaine manière, nous pouvons admettre le reproche, puisque nous avons effectivement préconçu une réponse, après avoir perçu avec notre loupe grossissante, sortie d’une boîte de jeu pour enfant, un petit changement de perception de la montagne, et qu’ensuite nous avons eu l’astuce de poser la question pile qui l’induit. Pour preuve : dès la fin du chapitre précédent, nous avons déjà affirmé haut et fort que, pour que l’alpinisme fût, il a fallu que la société l’encourage, l’impulse, crée les conditions de son avènement, avant même de poser la moindre question qui nous aurait conduit à répondre ça. Affirmation qui induit que nous pensions d’emblée que l’alpinisme n’a pas eu son propre moteur, mais qu’il a été porté par un mouvement de l’histoire. Et cela, communément à des tas d’autres disciplines sportives et intellectuelles basées sur l’exploration, la découverte et la conquête, avant d’émerger comme une activité autonome exempt de toute idéologie.

Cela est bien compliqué, et évidemment, pour permettre aux rares lecteurs d’adhérer à cette thèse, cela demande que nous développions, car nous ne serions nous contenter de demander au lecteur de croire à cette affirmation clamée comme un savoir ! Mais en contrepartie, d’où notre grand embarras et les circonvolutions de notre exposé comme si nous doutions de sa pertinence, ce chapitre paraîtra plus que jamais déborder hors des sentiers terrestres qui conduisent à Bleau. En fait, à l’instar des précédents, il pourra surprendre, voire déconcerter jusqu’au décourager sa lecture, tant le discours paraîtra hors propos et si loin de ce qu'on a l'habitude de lire sur ce sujet. Et pourtant, il a tourné par là, le chemin sinueux qui a conduit à l’alpinisme, puis à Bleau, ce que nous ne pouvions nous permettre s'éluder.

Le monde tel qu'on le voyait à l'antiquité mais tel qu'il ne l'était pas. - Carte Romaine -. (Source Wikipédia : Les Cartes Anciennes).

Au chapitre précédant, nous en étions restés à l’antiquité, et à la fin de celui-ci nous devons arriver au balbutiement de l’alpinisme. Reprenons donc le fil de notre histoire, là où nous en étions restés. Tout le monde sait qu’à un moment de l’humanité, en des lieux privilégiés, des civilisations sont nées. Les pouvoirs administratif, politique et militaire s’organisèrent autour de cités, lieux où une importante population sédentarisée nécessitait que l’on arrange la venue des denrées et des tas d’autres produits pour sursoir à leurs besoins. Il fallut alors contrôler et sédentariser à son tour une population campagnarde afin qu’elle produise, non plus seulement pour elle-même, mais également pour les habitants des cités, en échange de rien, ou presque rien, car inéquitables étaient déjà les échanges commerciaux. Comme chacun sait le commerce n’a pas de frontière. Dès l’antiquité, les affaires marchant très vite, les échanges commerciaux devinrent monnaies courantes entre les civilisations du bassin méditerranéen et les pays au dessus desquels se levait le soleil. Les marchands faisaient venir de l’Extrême Orient, des Indes et d’Afrique : des épices, des condiments, des produits de soins, des pierres précieuses, de l’or, de la soie, de l’ivoire, des parfums, et même des chevaux venus d’Asie mineure. La monnaie d’échange, considérée comme une valeur sûre était les grains d’orge et de blé pour l’acquisition de ces biens précieux. Et pour le reste, moins lourds qu’un sac d’orge ou de blé, les pièces de bronze et d’or étaient censées, du fait de leur rareté et de la difficulté à fabriquer les alliages, avoir leur valeur propre en fonction aussi de leur poids sur la balance, donc un moyen d’échanger des valeurs équivalentes quoique fluctuantes sans se balader avec un sac de blé sur le dos pour acquérir simplement une étoffe. Ainsi pour ne parler que des denrées alimentaires, un sac d’orge était garanti d’une valeur équivalente en poids de métal plus ou moins précieux, et cette transaction se nommait commerce. Durant des siècles, toutes les fournitures échangées d’une civilisation vers une autre se firent par de longues routes commerciales terrestres donc certaines sont connues aujourd’hui sous le nom de "Route de la soie" ou "Route mongole", le problème étant de devoir traverser des déserts et contourner la fabuleuse barrière « infranchissable » de l’Himalaya. Les produits transitaient par caravanes de chameaux fortement armées et dont les pays traversés avaient le monopole, et arrivaient à bon port en mer noire et en mer méditerranée. Ensuite les marchandises transitaient par voies maritimes vers les pays européens.

Le Commerce : la longue route de l'histoire, figurée ici avec la route de la soie.

A la fin du moyen Âge, les échanges s’amplifièrent avec les lointains pays d’Orient : les cours princières, l’église, la bourgeoisie riche voulurent posséder davantage de produits de luxe venus d’Asie, comme ils avaient davantage besoin d’or et d’objets précieux pour la magnificence de leur pouvoir, mais aussi pour le commerce. Ils exportèrent à leur tour des produits manufacturés dont ils avaient le secret de fabrication, tels que les canons, l’horlogerie, entre autres. Pour ce qui est du trésor, devenu trop rare en Europe, trouver de nouveaux gisements d’or et d’argent devint une obsession commerciale de plus en plus vive. L’or venait principalement d’Afrique et son commerce, tout comme les routes commerciales par lesquelles transitaient les marchandises venues d’Asie, était contrôlé par les marchands musulmans. Forts de ce double monopole, ils imposèrent tant, que la marchandise devint de plus en plus onéreuse. Si chère que les européens ont fini par chercher à ouvrir leurs propres routes de transit. La seule solution, pour échapper à la gourmandise des ducs et des princes musulmans étant de contourner l’Afrique par la mer jusqu’à la route maritime côtière Malaisienne centrée sur Malacca, où de nombreux pays européens avaient établi des comptoirs commerciaux autonomes, en particulier le Portugal qui par sa puissance politique et son positionnement géographique avantageux, fut le premier pays européen, au milieu du quinzième siècle, à chercher à ouvrir la route maritime vers l’orient. Méthodiquement, durant quarante ans, les portugais établiront de part en part des escales le long des côtes d’Afrique ; jusqu’au jour où leurs vaisseaux purent doubler le Cap de Bonne Espérance en route vers les Indes (En m’étant au passage au fond de l’eau, le mythe des monstres géants détruisant les bateaux de tout marins qui aurait la folie de s’y aventurer). Nous sommes alors en 1489. Comme la route de l’est était sous contrôle Portugais, l’Espagne préféra chercher à atteindre le Japon par l’ouest. Et comme tout le monde le sait, c’est ainsi que furent découvertes en 1492 les Indes Occidentales. Aucun marché ne put s’organiser avec les indiens pour le compte de l’Espagne, mais le célèbre découvreur ne revint pas pour autant bredouille, il revint avec de l’or, du sucre, du coton, du tabac et un titre de vice-roi des Indes pour les terres appropriées. Colomb mourut 15 ans plus tard toujours convaincu d’avoir atteint par l’ouest, l’extrême pointe orientale des Indes. Il reviendra donc au navigateur portugais d’origine italienne Amerigo Verspucci d’annoncer la découverte de L’Amérique, et au vénitien Jean Cabot en route pour les Indes par le nord-ouest, de fouler officiellement le sol du continent américain à Terre Neuve, deux ans avant Christophe Colomb, alors même que ce territoire était connu des pêcheurs portugais basques, bretons et normands pour son trésor marin : la morue.

Les Caravelles, ces Bateaux à larges voiles et à hauts bords inventés par les Portugais, ont permis les longs voyages en pleine mer et le commencement de la conquête du monde par les européens.

Qu’importent les ironies de l’histoire, Colomb avait de fait révélé aux européens l’existence de nouvelles terres du côté du soleil levant : terres qui s’avéreraient quelques années plus tard appartenir à un continent inconnu. Cette prise de conscience qui suscita des principales puissances européennes, un vif intérêt pour les grands voyages d’exploration car sans doute que les enjeux économiques promettaient d’être immenses et qu'il en était de la puissance des pays en concurrence. Si bien qu’en trente ans, du Labrador jusqu’à pointe sud de la Patagonie, toute la côte orientale des Amériques sera explorée par les marins portugais, espagnols, Anglo-Saxons et Français ; et sur laquelle sera établi au cours du siècle suivant de nombreuses colonies.

L'exploration du monde et l'état de la colonisation à travers le globe vers 1750 (source Wikipédia).

La découvert de l'Amérique n'aura cependant pas suspendue la recherche d'une route directe pour atteindre le Japon et la Chine. Cela a été l’objectif principal de nombreux expéditions, mais véritablement, on comprit très vite qu'il n'y aurait pas d'autre choix que de contourner l’Amérique ou l'Europe par le nord pour poursuivre sa route vers le soleil levant, ce que tenterons en vain les Hollandais et les Anglo-saxons. Nous devons au grand navigateur portugais Magellan la réussite du premier tour du globe à la voile en 1522, en démontrant après avoir sillonné l’immense l’océan Pacifique, que le plus simple pour atteindre l’extrême est de l’Asie, était encore de passer par le Sud. A partir de cette époque, de nouveau on s’intéressa à la route occidentale par l’océan Indien ; et au-delà par l’océan Pacifique nouvellement révélé... Les grandes expéditions se succédèrent jusqu’au début du XVIIème afin de pousser les limites du monde, comme on disait alors, comme s’il pouvait grandir à chaque pas jusqu’à l’éternité. Au cours de ces voyages qui duraient parfois des années, de nombreux archipels furent découverts : comme le chapelet d’Îles Indonésiennes mal connues alors, les Fiji, les Philippines ; et aussi les grandes îles : l’Australie en 1606 et la Nouvelle-Zélande 1642 par les navigateurs Hollandais. La science à jouer un rôle important lors des expéditions. Toutes ces expéditions ont permis d’avoir une connaissance de plus en plus précise des courants marins et des alizés dominants en fonction des saisons. Comme les progrès en astronomie et l’innovation technique des instruments de mesure ont rendu possible les pointages de la latitude et de la longitude, donc de quadriller des océans et de tracer des cartes représentant le contour des terres découvertes ; cartes indispensables aux navigateurs pour se positionner et déterminer leurs routes avec suffisamment de justesse. La découverte physique du monde allait de paire avec l’exploration de ses régions inconnues et pour favoriser son essor, dans les principaux pays en course à la découverte du monde, ont été fondées les premières académies des sciences. Dés lors pas une seule expédition ne se fera sans un cartographe et un naturaliste à bord. Ce dernier ayant la mission d’observer la faune et de récolter des échantillons de la flore rencontrée.

L'exploration du monde et les principales routes d'exploration de l'Amérique du nord à travers les siècles (source Wikipédia).

Nous sommes arrivés à la fin de la période des grandes découvertes maritimes, les contours du monde sont en grande partie connus et mis sur carte par les Européens. On pourrait nous opposer, puisque c’est la vérité, que l’Amérique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, de même que les Iles de l’océan Indien et du Pacifique, avaient déjà été maintes fois découvertes par les hommes avant l’arrivée de Européens ; et que c’est un abus de leur orgueil qu’on en soit encore aujourd’hui à continuer à s’en attribuer le mérite. Nous ne l’ignorons pas mais si nous avons escamoté les découvertes antérieures, c’est qu’elles n’ont pas eu les mêmes effets. C'est-à-dire qu’elles n’ont pas bouleversé le monde comme celles effectuées par les Européens. Par exemple, jamais auparavant l’homme n’eut à ce point conscience de la globalité du monde ou n’eut une représentation physique à ce point exacte. Et non pas seulement géographique mais également du point de vue de la connaissance scientifique et de la philosophie considérant le courant philosophique des lumières né en Angleterre et développé en France plus tard... Au cours de leurs voyages les explorateurs rencontrèrent des centaines de peuples aux mœurs complexes que les découvreurs ne comprenaient pas ; peuples qui n’avaient bien souvent aucun sens de la possession de la terre et n’étaient pas organisés et assez puissants pour s’opposer aux entreprises des européens. De même que ces peuples ne comprenaient pas les obsessions des Européens pour la richesse et leur besoin de tout posséder. Du point de vue des Européens, ces terres lointaines étaient païennes et ses occupants sans dieu, des barbares. Aussi partout où les puissances chrétiennes s’installèrent, ces peuplent indigènes, en dépit de leurs droits naturels, se virent pour leur bien, du jour au lendemain, sujets des Rois de l’ancien monde et création divine, et il était bon qu’ils se fissent des cals aux genoux au nom de l’un et se saignassent des quatre veines au nom des autres. En particulier dans les pays où les conquérants exploitèrent les matières premières, telles que les richesses rares comme les pierres précieuses, la fourrure, l’or, l’argent ; mais également là, où ils développèrent la culture des végétaux tels que la cane à sucre, le cacao, le coton, le caoutchouc qui ne pouvaient être cultivés sous le climat océanique, et que les colons envoyaient en Europe contre fortune. Bien entendu, certains peuples refusèrent de se soumettre, se rebelleraient ou résistèrent, mais cela ne changea rien en fin de compte à la soif de possession des Européens qui considéraient, sous prétexte « de missions civilisatrices », que les terres découvertes étaient à eux. C’est le principe même de l’impérialisme et son processus d’expansion territoriale qui s’étendra sur l’ensemble du globe. Période dont il est difficile de dater le début, et qu’on nommera plus tard : la colonisation. Ce qui est certain, c’est qu’à partir de la fin du dix-huitième, il n’a plus été question de commercer mais de carrément s’approprier le pouvoir et les richesses en mettant sous tutelle la population. Mais la concurrence fut rude, bon nombre d’États restés jusqu’alors en sommeil durant la période des grandes découvertes, démontrent à présent une volonté de puissance à l’exemple des États précurseurs. L’Angleterre s’avéra être celui le plus motivé, le plus habile et le mieux organisé ; il profitera même de la faiblesse des autres États actifs jusqu’à présent, tels que l’Espagne et le Portugal ruinés d’avoir vécu en prélats durant deux siècles sur le dos de ses colonies sans avoir développé avec sa richesse perdue, une industrie moderne, comme celle qui fait à présent la puissance de Angleterre.

Tout aurait commencé, suite à la perte de ses colonies américaines (1776). Furieuse, l‘Angleterre prit le large et débarqua en l’Australie (découverte par les Portugais en 1522) pour y planter son drapeau (1788). Île que l’Angleterre déclara inoccupée pour la circonstance (terra nullius) malgré la présence de la population aborigène installée depuis 50.000 ans et l’installation de diverses colonies d’aventuriers issus de diverses nationalités, en particulier française. En Europe, la toute jeune république laissa faire car elle avait grand besoin de toute son énergie guerrière sur ses frontières pour assurer sa survie, et ne pouvait donc la gaspiller à soutenir quelques colons apatrides à six mois de voyage de ses frontières menacées. D’ailleurs durant cette période, à défendre son unité, les colons français abdiquèrent partout où les Anglais souhaitèrent s’installer, et cinquante ans plus tard, ils s’approprièrent la Nouvelle Zélande au détriment encore une fois d’une poignée d’exilés français autonomes installés sur l’île sud. Puis en 1814, c’est au tour du Népal d’être administré par les anglais qui commencèrent peu après à s’intéresser à l’Everest. Puis ce fut le tour de l’Afrique du Sud et de la Malaisie, soulevés aux Néerlandais respectivement en 1814 et en 1824 en trahissant une vieille alliance monarchique contre les jacobins. Quant à l’inde, elle sera déclarée officiellement colonie en 1858. Puis en 1874, c’est au tour des îles Cook et des îles Fidji d’être annexées à la couronne d’Angleterre, archipels découverts en 1642 par le célèbre navigateur Néerlandais Abel Tasman. Durant cette période, emballé par sa logique impérialiste, l’empire anglais grandira à vu d’œil et sa puissance économique parallèlement ne cessera de croître. Mais ce n’était pas encore assez de possessions....

Au début du 19ème siècle, l’intérieur de l’Afrique noire n’était encore qu’un fond de carte blanc. En Europe, on pensa qu’il était grand temps que l’on commence à l’explorer et à faire l’inventaire de ses ressources. Comme l’empire Britannique devait coûte en coûte toujours être éclairé par le soleil, l’Angleterre commença par imposer son tutorat à l’Égypte, puis au Soudan et à la Somalie… Le chapelet de colonies s’enfilant vers le sud pour lier l’Égypte à l’Afrique du sud. Pour être en mesure de rivaliser avec les anglais en pleine prospérité industrielle, les nations européennes sur la voie de l’industrialisation à l’instar de la Grande Bretagne, cherchèrent à leur tour à prendre possession de terres pour fonder outre-Europe, leurs propres empires ; principalement la France qui en quelques décennies s’appropria un quart de l’Afrique et l’Indochine. Le reste devenant : Prussien, Belge, Portugais, Italien, et bien sûr Anglais. Enfin vers 1880, à quelques bouts de terre près, le globe est globalement partagé entre les puissances européennes ; seuls, les États féodaux comme le Japon, la Chine et la Russie résisteront à cette cavalcade, rivalisant de puissance. Tout comme d’ailleurs, les États-Unis, occupés à grossir eux-mêmes.

Là encore, et d’une manière bien marquée, le rôle de la science a été déterminant dans le processus de la colonisation. Cela peut surprendre, cependant la reconnaissance scientifique et géographique des territoires annexés à souvent précédé la colonisation, tout comme plus tard la colonisation a dynamisée l’exploration scientifique des régions arides, chaudes et glacées, ainsi que l’exploration des massifs montagneux, les gouffres, les forêts tropicales, et la découverte des sources des fleuves : en fait tous les domaines physiques méconnus (puisque le propre de la science est bien d’explorer l’inconnu). Ce processus de colonisation a quasiment été systématique à partir de la fin du dix huitième siècle, et il est particulièrement observable en Afrique. Les expéditions scientifiques étaient soutenues par les gouvernements et les diverses sociétés scientifiques favorables, et naturellement elles ont été rapidement associées à la volonté colonisatrice des puissances européennes. Leurs missions étaient multiples : cartographier les régions visitées, Identifier les ressources naturelles, minéralogiques entres autres, rapporter des conditions de navigations sur les fleuves car qui les maîtrisait, maîtrisait les territoires traversés par ses eaux. Mais, leur travail était également ethnologique et diplomatique auprès des populations et de leurs chefs. En bref, les scientifiques, en plus de leurs prérogatives scientifiques propres, avaient la mission d’étudier les potentialités des régions visitées pouvant être utiles à la prospérité coloniale de leur pays. Autrement dit, même si cela n’est pas évident à reconnaître, la science avait la même vision coloniale que les hommes politiques de son temps. Mais ne noircissons pas son rôle : bon nombre d’explorateurs étaient animés par la volonté louable de connaître la population et d’améliorer leurs conditions de vie. En favorisant par exemple la médicalisation avec l’objectif avoué de mettre fin au trafic des esclaves, qui existait déjà depuis plus de deux milles ans. En clair, si la science à contribué à l’expansion des territoires elle n’est pas pour cela responsable des aspects négatifs de la colonisation.

Si nous avons parlé de la réciprocité dynamique entre l’exploration scientifique et la colonisation, c’est simplement pour tenter de montrer, que partant des besoins du marcher, puis de la découverte du monde, suivit de la soif de possession de terres nouvelles par les Européens. Au bout du compte elles ont suscité ensemble, de par leur tempérament respectif et complémentaire, de nouveaux objectifs d’exploration et de conquête « gratuite ». Entre autres, ceux qui ont conduit à la naissance de l’alpinisme. D’accord, la science induit l’exploration des pôles, des rivières souterraines, des massifs montagneux, enfin toutes choses de la nature, mais en aucun cas cela s’est fait d’une manière indépendante à la logique impérialiste et culturelle des nations européennes.

Ce développement était long mais nous verrons par la suite combien il était important de montrer que l’idéologie de conquête et la science ont constitué un binôme indissociable dans l’exploration des Alpes, pour ne parler que du lieu qui nous est propre géographiquement, car en réalité universel a été le processus des conquêtes sportives.