2019 - La cotation à la couleur

Pépito

Pourquoi préférons-nous à présent informer de la difficulté  des pistes et des voies à la couleur ?

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 A chaque fois que j’ai inscrit au départ d’un circuit jaune ou orange, l'abréviation d’usage PD pour Peu Difficile ou AD pour Assez Difficile, censée renseigner sur la difficulté globale du circuit, j’étais un peu gêné car je présentais qu'un circuit dit Peu difficile ne pouvait l'être pour tous les grimpeurs. Cependant, en dépit de ce pressentiment qu'il y avait quelque chose d'inexact dans ce système, j'ai continué comme tout le monde à utiliser cette échelle, au fond injuste...        

        Puis un jour, il y a quelques années, la gène demeurant, j’ai cru résoudre la contradiction, en faisant cette remarque dans un de mes topoguides : « La graduation de difficulté ne sert qu’à situer les niveaux « inférieurs » au sien, car une piste orange dite assez difficile sera toujours très difficile à réaliser pour celui dont c’est la limite supérieure. Et c’est vrai à chaque palier de l’échelle ».

        Je ne suis pas sûr d’avoir été clair avec mon histoire, plutôt maladroite, de grimpeur qui serait à sa limite supérieure. Mais on pouvait toutefois entrevoir ce que j’avais voulu dire par là. À savoir qu’un passage de niveau jaune qui paraît être « Peu Difficile » à un grimpeur capable de surmonter les voies d’une blanche ED, semblera « Très Difficile » à un grimpeur qui se donne déjà à fond « dans du jaune ». En somme, l’échelle de cotation PD à ED n’aurait de signification que pour les grimpeurs qui évoluent sur l’ensemble ou presque des paliers (bien qu’on peut considérer que ces cotations littérales ont l'avantage d’indiquer aux débutants que ça lui sera relativement « peu difficile » d’atteindre le niveau jaune mais que ça lui sera « très difficile » d’atteindre le niveau rouge).

  En même temps, que l’échelle n’a de sens que pour ceux qui sont capables de l’établir où de l’appréhender, n’est pas grave en réalité. Et ça fait longtemps que les grimpeurs de niveau modeste se sont accommodés de cette anomalie de langage. On entend bien quelques fois des grognements au pied d’un jaune un peu plus compliqué à résoudre qu’un autre, mais globalement les grimpeurs dont je parle se sont résignés à l’idée qu’ils ne grimpaient que du Peu Difficile et du Assez Difficile les jours de grande forme, alors que leur corps leurs disait qu’ils étaient dans le Rouge. Toutefois, on peut se demander à quoi cela sert de préciser qu’un circuit jaune est PD inf, PD moyen ou PD sup alors que l’on sait qu’un circuit jaune, c’est Difficile à grimper, aussi Difficile que peuvent l’être pour d’autres un circuit orange ou un circuit Bleu quand ils grimpent à leur maximum. En somme, j’ai voulu savoir comment on est arrivé à faire croire aux grimpeurs qu’un circuit jaune demandait moins d’escalade qu’un circuit rouge, ou dit autrement qu’on marchait sur du rocher dans du 2c et qu’on grimpait sérieux dans du six. Encore mieux, que l’escalade commençait vraiment à partir du sept.

        Là je sens que je vais vous en apprendre une bonne ! En effet, si le circuit a été inventé en 1947 par Fred Bernick, ça n’est qu’en 1957 qu’apparaîtra la première appréciation de difficulté littérale pour un circuit. En l’occurrence avec la création du célèbre circuit de « La Fraise Écrasée », annoncé à l’époque en « TD soutenu », et dont on disait alors qu’il était « l’un des plus durs du monde »… Auparavant, on se contentait de donner la cotation des passages numérotés et de définir la difficulté globale des circuits, les uns par rapport aux autres. On disait ainsi que le circuit rouge d’Apremont dont les passages les plus difficiles étaient en 4 sup était plus ardu que le parcours Bleu du même coin dont les passages les plus difficiles étaient également en 4 sup. Suite à la création de ce circuit de haut niveau, deux autres tracés de même acabit suivront les mois suivants : le circuit Fantôme du Pendu annoncé avec des passages en 5c, sans pour cela proposer de cotation globale, et le Rouge de la Drei Zinnen quant à lui annoncé TD (1). La même année, soit en 1958, Maurice Martin annoncera la création d’un nouveau circuit traditionnel, puisque conçu pour l’entraînement à la montagne : Le Mauve de la Dame Jouanne. Il a été donné : « AD limite supérieur ». Le pli fut pris. A partir de ce moment, à présent que l’on savait leur niveau grâce à l’arrivé des TD, tous les circuits antérieurs à 1958 se verront cotés « AD » et « AD sup ». Il restait à inventer le circuit PD et le circuit D pour faire le raccord.        

        Le codage couleur/difficulté des circuits a été proposé la première fois par Pierre Bontemps en 1967 lors de la toute première réunion de travail du Cosiroc. Et comme il s'avéra que ces conventions étaient assez commodes car elles renseignaient plutôt bien les grimpeurs de la difficulté des escalades peintes, elles furent assez bien adoptées. A l'époque, le rouge c'était pour les pistes D, le bleu pour les pistes TD, et le vert pour les pistes AD. Correspondances qui seront inversées pour le rouge et le bleu en 1974, tout en proposant la couleur orange à la place du vert difficile à discerner dans un monde où règnent les mousses et les feuillus.

Comme ces conventions ont été respectées et qu'il est aisé de reconnaître la difficulté globale théorique d’une piste à sa couleur, il me paraît aujourd’hui inutile de continuer à préciser en plus de la couleur une appréciation littérale contestable. La couleur des circuits et des flèches en disant suffisamment long à celui qui s’apprête à affronter ou « à se mesurer » à la difficulté des voies, histoire d’user cette expression sportive connue.

  Vous ne le savez peut-être pas, mais la codification de la difficulté globale des circuits associé une couleur distinctive précise a eu pour effet que les grimpeurs en sont venus à avoir une notion intuitive de ce que devait être la difficulté d’une voie en fonction de la couleur de la piste et ce d’une manière assez fine… Si bien que les circuits sont devenus de plus en plus homogènes. Ce n’était pas le cas avant la généralisation de la codification. En effet, si au début de leur existence, il était difficile de donner une cotation globale précise au circuit au fait qu’ils étaient souvent très hétérogènes - comme pouvait l’être une voie en montagne - il y a maintenant une nette différence de niveau entre un circuit jaune, par exemple, dit PD inf et un circuit jaune dit PD sup, liée à une assez bonne homogénéité de la difficulté des passages rencontrés. Et cela est relativement vrai, sauf pour les circuits de très haut niveau où l’amplitude de la cotation des voies est souvent élevée (voies de 6a à 7b par exemple).   

Normalement, après bien des années de pratique chacun d'entre nous devrait pouvoir coter un ensemble de passages d'un circuit en fonction de ses références et ressentis, ce qui forcément donnerait des cotations au plus juste pour soi. Et bien non, la plupart de grimpeurs sont prêt à se scandaliser d'une cotation qu'ils jugent sévère mais globalement refusent de traduire leurs ressentis en cotations au prétexte qu'ils ne savent pas ou qu'ils n'ont pas confiance à leurs estimations. Les "ouvreurs "doivent donc leur donner au risque qu'elles déplaisent. Surprenant non !

   Une représentation des équivalences entre la cotation globale du circuit et les cotations précises des voies mise dedans a été de multiple fois mise en tableau (voir ci-dessus). Ainsi, un circuit PD devrait proposer essentiellement des voies de grades 2c et 3a pour un éventail allant du 2b au 3b. Mais la réalité du terrain ne permet pas toujours d’être conforme au tableau, aussi dans un circuit bleu par exemple selon qu’il est proche de l’orange ou proche du rouge, autrement dit D inf (atténué) ou D sup (sévère), on rencontrera des voies qui auraient pu être soit dans un circuit Orange soit sur un circuit Rouge. Inutile de donner une cotation précise puisque tous les grimpeurs ressentent la difficulté à la couleur sur le tas. En clair, dans un circuit Jaune PD sup (sévère), il y aura forcément quelques voies de niveau orange (comme dans une piste de niveau Orange AD Inf (atténué), il y aura forcément des voies de niveau jaune), ce que les grimpeurs acceptent assez bien, surtout s’ils parviennent à résoudre ces problèmes un peu au-dessus de la moyenne.       

      Mais attention, s’il est normal de trouver quelques voies de niveau orange dans un circuit jaune "sévère", cela ne signifie pas que toutes les voies orange peuvent y trouver place. L’éventail doit être en principe modéré, autrement dit d’une amplitude raisonnée. Malheureusement, il n’est pas rare de trouver une voie bleue dans un circuit jaune et des voies de niveau vert clair dans un circuit bleu (2). C’est également pour cette raison que j’ai décidé d’abandonner la cotation classique types 2c, 3a , 4b etc,  pour une cotation à la couleur car en fin de compte, c’est celle qui est en usage depuis longtemps sur le terrain. En effet, presque tous les grimpeurs savent vous dire si telle voie est bleue ou orange alors qu’ils se trouvent forts embarrassés à préciser si elle est 2c, 3a ou 4b... Ils disent ne pas savoir coter… alors qu’ils le savent puisqu’ils arrivent à vous affirmer sans erreur : « Ça c’est un bon jaune… Celle-ci c’est du Bleu… » Dire que c’est du 3a, plutôt que du 3b, est une estimation de spécialistes qui savent ré-étalonner la finesse de leurs ressentis. Car oui, la cotation est avant tout un étalonnage sensoriel, un truc que l’on sent au bout de ses doigts par comparaison… Bref, ça se travaille… Alors qu’avec la couleur… coter ça devient plus facile, plus intuitif, pour le peu qu’on fréquente les circuits.       

        Voici à présent dans le tableau ci-dessous comment à partir de l'estimation de la difficulté des voies à la couleur nous estimons la difficulté intrinsèque du circuit,  voies qui peuvent être respectivement de deux couleurs fictives. (Il faudrait éviter qu'il en est plus comme on le voit sur les circuits trop hétérogènes).

  La colonne Dominances donne une image idéalisée de la difficulté à la couleur et en fonction de cette dominance la difficulté globale du circuit à trois niveaux (niveau 1, niveau 2 et niveau 3). Ainsi dans un jaune supérieur ou sévère on peut trouver un bon nombre de voies de niveau orange (idéalement pas plus d'un tiers), alors qu’il en faudrait aucun dans un circuit de niveau jaune idéal. Coter les pistes et les voies à la couleur est intuitivement plus facile qu'avec la cotation des voies en degré, et cette méthode est utilisé par de nombreux grimpeurs. Cependant, certains grimpeurs disent être attachés aux cotations en degrés pour les voies de niveau rouge et au delà. Aussi sur Topo Bleau nous continuerons à donner les cotations en degré et littérale pour ceux qui y attachent de l'importance pour ne pas être en rupture totale et immédiate avec les usages culturels vieux de 70 ans. 

    Voici en dessus les correspondances entre les cotations anciennes et celles à la couleur que nous utilisons (à droite).  

  Voici-ci à présent en dessous un exemple concret de « cotation » d’une piste. La plupart des voies de niveau orange sont des bis. Seules deux voies dans la numérotation simple sont de niveau orange modéré (Ce qui est assez peu) pour cinq voies de niveau vert. Nous avons là un circuit assez homogène et sans doute valorisant de niveau 2 et de niveau 3 avec les bis.